Les Banshees d’Inisherin, Martin McDonagh, 28 décembre
Tout au long d’une filmographie aux genres contrastés, le réalisateur d’origine irlandaise Martin McDonagh traite des mêmes thèmes comme si l’obsession nourrissait sa créativité. Avec Bons Baisers de Bruges, film passé relativement inaperçu (et qui fait partie de notre top 5 des meilleurs films de tous les temps), il était déjà question d’enfant mort, de culpabilité morbide et de vengeance. Le personnage de Three Billboards Outside Ebbing, Missouri était une mère endeuillée qui réclamait justice et dans sa quête de vérité, déclenchait une vague de violence au sein de sa petite communauté. Après la Belgique flamande, les rednecks des États-Unis, Martin McDonagh plante ses caméras sur une petite île au large de l’Irlande. Nous sommes en 1923, la guerre civile fait rage et le pays est divisée en plusieurs factions, à tel point que les habitants de l’île ne savent plus qui – de l’anglais ou de l’irlandais – est l’ennemi. De nouveau, avec Martin McDonagh, ce brouillage des signifiants qui précède la confusion des valeurs.
Dans Bons Baisers de Bruges, la ville ne servait que de décor à la déambulation de deux tueurs à gage admirablement interprétés par Colin Farrell et Brendan Gleeson que l’on retrouve à l’affiche de ce nouveau film. Le personnage campé par Gleeson devait tuer, sans l’en avertir, son acolyte et fils spirituel, joué par Colin Farrell, sur ordre du parrain sociopathe qui dans un ultime geste de magnanimité leur avait offert quelques jours dans cette ville-conte de fée. Dans Les Banshees d’Inisherin, le merveilleux panorama se mue une nouvelle fois en prison. Les palais flamands ont été remplacés par de verdoyantes falaises à couper le souffle mais Pádraic (Colin Farrell) est de nouveau le dindon de la farce, oppressé par une situation qu’il ne maîtrise pas, abandonné par ceux qu’il croyait ses amis et proches.
Le postulat est simple : un jour, son copain de toute la vie, le géant mélomane Colm (Brendan Gleeson) décide de ne plus lui parler. Pádraic tente de comprendre cette décision soudaine, il lui présente ses plus plates excuses – peut-être l’a -t-il vexé, insulté, un soir de beuverie ? – puis la discussion logique se mue en supplication et enfin en désir d’en découdre avec cet homme devenu – pour on ne sait quelle raison saugrenue – indifférent à ses joies et peines. A voir la discorde escalader et se muer en sourde violence, on ne peut s’empêcher de songer à ces villages – de partout et d’ailleurs – où certaines rancunes se transmettent de générations en générations sans que plus personne ne sache quel était l’outrage de départ.
En dépit des accents farcesques et de l’humour noir distillé ça et là, les films de Martin McDonagh ne se départissent jamais d’une gravité quasi christique. Dans cette communauté où tout le monde s’épie, il y a toujours un bouc-émissaire prêt à adosser la culpabilité des fautes inavouables. Dans Bons Baisers de Bruges, Colin Farrell se révoltait déjà contre l’apparence carte postale de la ville. En refusant de se laisser séduire par la beauté des lieux, il accédait à un monde peuplé d’êtres à la fois mystérieux et inquiétants (tels les fous de Hieronymus de Bosch) qui lui révélaient une certaine vérité. Dans The Banshees, pas d’homme nain comme à Bruges – bien que Pádraic soit accompagné d’un âne nain – mais un idiot du village, Dominic (Barry Keoghan), pas aussi bête qu’on le souhaiterait. Un gamin cabossé, abusé, encore un autre… Pas besoin de partir comme Siobhan (Kerry Condon), la soeur de Pádraic, le voyage est intérieur, pourvu qu’on accepte de descendre au plus profond de la noirceur des hommes.
Colin Farrell (Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise en 2022) est magistral, les autres acteurs sont également excellents. En plus de renouer avec ce merveilleux duo d’interprètes, Martin McDonagh collabore à nouveau avec le compositeur de musiques de films Carter Burwell qui avait signé la bande-son de Bons baisers de Bruges et Three Billboards Outside Ebbing, Missouri. Le résultat : un film féerique peuplé de monstres. Pas de doute, ce réalisateur est hanté.
28 décembre 2022 en salle / 1h54min / Drame
De Martin McDonagh
Avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon, Barry Keoghan…
Titre original The Banshees Of Inisherin
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