Emily in Paris ou bien Sylvie in Paris ?
Elle lui vole la vedette et irradie à chaque apparition. Philippine Leroy-Beaulieu, actrice mature, qu’on croyait complètement has-been, parvient à rendre une série TV nunuche, peuplée de nymphettes en brassières, intéressante. Elle y incarne Sylvie, responsable d’une agence de marketing qui décide de se passer des américains pour exister et parvient même à imposer sa ligne directrice à un grand patron d’un groupe de luxe qui avait abusé (ou tenté d’abuser) d’elle lorsqu’elle n’était que son assistante. Depuis sa création par Darren Star, Emily in Paris a fait couler beaucoup d’encre. Caricaturale, pleine de stéréotypes culturels voire d’erreurs factuelles flagrantes, cette nouvelle série du papa de Sex and the City irrite autant qu’elle séduit.
La 3e saison ne fait pas exception : Mindy, la meilleure amie chinoise d’Emily, se balade à moitié nue sans que cela ne choque personne dans la rue (Paris est la capitale de l’amour, pardi !), les abeilles en Provence se déchaînent à la nuit tombée (vous ne confondez pas avec les moustiques-tigres ?) et c’est bien connu, quand on pique-nique au bord du Canal Saint Martin (peuplé de jeunes alcooliques en déperdition), c’est vraiment qu’on a touché le fond.
Bref, les parisiens qui se prêtent au jeu du visionnage n’en croient pas leurs yeux. Un mauvais raccord nous fait passer du bois de Boulogne (a place to hook-up avec en prime un mauvais jeu de mot sur les traditionnelles péripatéticiennes du lieu) à la Grande Halle du parc de la Villette, comme si l’on pouvait admirer, de la prairie du triangle qui accueille les soirées cinéma de plein air estivales, la Tour Eiffel scintiller en toute majesté ! Pas de doute, le Paris d’Emily in Paris est si fantasmé qu’il cesse d’être réaliste mais la ville exercice une telle fascination sur les anglophones qu’on a déjà vu semblable ou pire (au spectateur d’en juger) chez Woody Allen dans Midnight in Paris.
Cette saison, la série se révèle malgré elle une excellente carte de visite touristique car, après avoir épuisé tous les monuments emblématiques dans les deux premières saisons, elle oblige ses héros à se balader dans des lieux justement moins touristiques ou connus. On saura désormais partout dans le monde, que les Buttes Chaumont et leurs sentiers vallonnés, sont l’une des oasis les plus vertes de la capitale, que les petits parisiens ont au moins une fois dans leur vie poussé un rafiot en bois sur l’un des bassins des Tuileries et que nager à la piscine Molitor est un plaisir à la fois chic et art deco.
Paris n’est pas le seul placement de produit de la série. Emily travaille pour une entreprise chargée de promouvoir de nombreuses marques de luxe et le comique de situation relève depuis le début de cette confrontation entre le marketing à l’américaine, défendu par une influenceuse de la génération Z, et le chic à la française. Lors des saisons 1 et 2, les employés français étaient conspués pour leur tendance à mélanger plaisir et travail (chose impensable dans le milieu corporate US), à discuter de leurs idées de manière informelle au restaurant, ou à arriver pile à l’heure au bureau (Emily était toujours en avance, trouvant parfois porte close, l’agence n’ayant pas encore ouvert ses portes).
Le début de la saison 3 creuse un peu plus ses différences, de manière tout aussi comique et grotesque, avec le personnage de Madeline, la représentante du groupe de marketing US qui a racheté Savoir, la boîte de Sylvie. Aux robes élégantes de Sylvie répondent les couleurs criardes, les décolletés vulgaires et les bijoux tape à l’œil de la vétérane des affaires nord-américaines. A tel point que Sylvie et ses associés décident de quitter le navire et voler de leurs propres ailes, bien décidés à ne pas promouvoir le Mac Baguette de McDonald’s ou tout autre produit de marque similaire.
On pourrait croire que le personnage de Madeline est over the top (exagéré) mais il reflète pourtant une réalité parisienne dont on se passerait bien : l’expat anglophone. Celle qui prie à The American Church in Paris, assiste à des conférences à l’American University in Paris (voire y fait cours), boit des chocolats chauds à Angelina et impose à ses collaborateurs de venir travailler gratis des samedis matins sous prétexte que c’est convivial et qu’on peut ensuite partager des pizzas : c’est du vécu, pas une scène de la série ! Ce spécimen, qui profite de tout sans jamais s’intégrer et faire l’effort de comprendre la culture de ses hôtes, est malheureusement surreprésenté à Paris. Il faut dire qu’en France, la sécurité sociale, le coût de la scolarité et des études sont bien entendu plus avantageux qu’aux États-Unis. La version britannique existe aussi – elle fréquente assidûment Shakespeare & Cie, The Bombardier ou tout autre pub du même genre – mais elle va se faire plus rare depuis le Brexit, à moins qu’elle n’épouse un français, comme le personnage d’expat australienne de l’épisode 5 (La Liste), pour continuer de profiter en bonne parasite ! Alors voir Sylvie envoyer balader cette b—h et toute cette sous-culture (les deep-dish pizze entre autres !) est des plus réjouissants !
Au-delà du ridicule des dialogues et des situations amoureuses, la saison 3 d’Emily in Paris a le mérite de bien traiter l’un des phénomènes économiques majeurs du monde de la mode ces dernières décennies : le rachat par de grands groupes de marques de designers. Avec le retour du personnage de Pierre Cadault, un couturier admirablement interprété par Jean-Christophe Bouvet (qui soit dit en passant a joué pour Chabrol, Paul Vecchiali…), de nouveaux méchants font leur apparition : les membres père et fils de la famille de Leon, héritiers de l’empire JVMA (toute ressemblance avec LVMH est bien entendu fortuite) qui ne cesse de s’agrandir en rachetant marques prestigieuses pour les vider de leur substance et créativité. Les démêlés du fictionnel Cadault avec JVMA ne sont pas sans rappeler ceux de Kenzo avec LVMH au début des années 2000. Tout ça passera certainement inaperçu auprès des jeunes spectateurs (cibles principales de la série) mais quiconque s’intéresse un peu à l’histoire de la mode y sera sensible.
Emily in Paris, saison 3, en ce moment, Netflix.
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