Near Death Experience, Kervern et Delépine, 10 septembre

Le duo grolandais Kervern-Delépine nous revient avec un nouvel Objet Cinématographique Non Identifié, Near Death Experience. Après avoir tourné avec Brigitte Fontaine dans Le grand soir (2012), ils se sont offerts les services d’un autre artiste complètement illuminé, le sulfureux écrivain Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010. Houellebecq, dans le rôle d’un employé de France Telecom dépressif, déambule en tenue de cycliste rouge vif moulante dans des massifs calcaires (près d’Aix en Provence). Sa voix, en off, nous livre une myriade de considérations existentielles, interrompues par de rares rencontres : un vagabond barbu (Marius Bertram) qui l’initie à une course cycliste miniaturisée, des promeneurs polis mais vieux, une automobiliste prévenante… 

Houellebecq redécouvre les joies de la Nature ou plutôt son inconfort : un lit de feuille en guise de canapé cuir capitonné, deux silex pour affronter la froideur des nuits… Ses errements et les longs plans fixes sur son visage silencieux imposent un rythme lent, entrecoupé de situations gag qui confinent à l’absurde ou de jeux de mots bien sentis (la fée Endorphine).  Inspiré d’un fait réel -la disparition en pleine nature d’un employé décidé à se suicider-, le film est prétexte à des considérations philosophiques sur -en vrac- : la société de consommation, le pouvoir de la télévision d’effacer la réalité  voire d’en créer une nouvelle, encore plus aliénante, le couple comme refuge…

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On comprend facilement pourquoi Kervern et Delépine ont choisi Houellebecq pour interpréter Paul, employé au bout du rouleau. Si ce personnage nous est présenté en travailleur modèle, trop justement pour ne pas craquer -c’est là le message du film- il partage plusieurs choses avec Houellebecq : un alcoolisme assumé, un auto-dénigrement constant et surtout une même révolte -sourde mais bien présente – contre les valeurs normatives contemporaines… Dans une séquence très émouvante, Paul-Houellebecq s’adresse à son grand-père, ce pépé, qui contrairement à lui, a eu droit de finir sa vie comme un vrai pépé. Paul, 57 ans, ne veut plus jouer le jeu : marre d’être amusant, marre de faire du sport, marre d’essayer de rester séduisant ou jeune… Amer face à son obsolescence -« à 57 ans, si tu n’es pas tout ça, tu es obsolète »- il aimerait retrouver une certaine innocence, une joie de vivre naturelle, loin des images de télé-réalité qui obligent les gens à s’efforcer de ressembler à des gravures de mode.

D’emblée, avec la première scène au café, le film fait écho à la vague de suicide chez France Telecom. Mais, loin de sombrer dans un discours intello sur le phénomène, Kervern et Delépine choisissent une approche quasi biographique pour donner corps au mal-être professionnel ambiant. Houellebecq devient un symbole marchant. Ses commentaires en off rappellent ses écrits. « Qu’est-ce qui définit un homme ? Quelle est la question que l’on pose en premier à un homme lorsque l’on souhaite s’informer de son état ? C’est sa place dans le processus de production qui définit avant tout l’homme occidental » pouvait-on lire dans La carte et le territoire.

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Ce type de discours peut s’avérer pesant pour le spectateur mais c’est justement là l’objectif : alterner moments de lourdeur (essentiellement en ville avec les collègues et au domicile familial) et instants de légèreté absolue. En isolant leur personnage-sujet dans un paysage rocailleux, âpre mais de toute beauté, les réalisateurs visent une certaine épure, comme s’il fallait débarrasser les images du film des scories de la vie moderne. Houellebecq régresse à un stade quasi enfantin, proche de l’homme des cavernes, mais ses mots s’envolent vers le firmament, tentant de transcender la matière et d’insuffler un peu de spiritualité au réel. Et c’est ce constant décalage entre le ridicule suscité par son aspect extérieur (ses jambes archi maigres, sa lippe tombante) et la gravité de ses paroles qui constitue l’originalité du film. Au milieu des montagnes, dans un univers lunaire, le visage de Houellebecq -de prime abord répugnant- est touché par la grâce : la voix du poète peut enfin retentir. Pas sûr que tout le monde l’entende !

Le film a fait l’objet d’une projection dans le cadre de l’Étrange Festival en présence des réalisateurs -qui, dans leur présentation ont fait référence à Brigitte Fontaine, un champion de motocross belge, une vieille caméra Panasonic, des abeilles… Le film sort demain en salles.

Date de sortie : 10 septembre 2014 (1h27min)
Réalisé par : Gustave Kervern, Benoît Delépine
Avec Michel Houellebecq, Marius Bertram, Benoît Delépine…
Genre : Drame
Nationalité : Français

 

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