Entretien avec Geoffroy de Pennart, auteur jeunesse
Les enseignant.es du premier degré connaissent bien les livres illustrés du prolifique Geoffroy de Pennart qui leur permettent, avec beaucoup d’humour, d’initier les plus jeunes au plaisir de la lecture à partir de textes fantasques et pétris de jeux de mots qui revisitent l’univers traditionnel des contes de Grimm et Perrault. La marque de fabrique de Geoffroy de Pennart, c’est aussi un univers graphique et visuel qui multiplie les détails truculents et les clins d’œil intelligents à ses ouvrages précédents, constituant ainsi une œuvre cohérente et riche. Les libraires l’ont bien compris, De Pennart étant l’un de leurs chouchous en matière de littérature jeunesse. A cinescribe, on lit en famille ses livres depuis longtemps et on est donc très heureux de partager cet entretien avec les lecteurs ou parents qui ne connaîtraient pas encore ses personnages fétiches, Georges le Dragon, Lucas, le loup sentimental, Gaspard et Mme Broutchou ou Petit Chapeau Rond Rouge…
Cinescribe : Comme d’autres auteurs en littérature jeunesse – je songe ainsi à Mario Ramos – vous reprenez la figure du loup dans vos récits. En quoi ce personnage vous inspire-t-il ?
Geoffroy de Pennart : Tout simplement parce que le personnage du loup est formidable pour raconter des histoires. J’ai eu l’occasion de l’écrire dans la préface d’un de mes livres :
Dans le langage populaire, on utilise le mot loup pour évoquer un défaut de fabrication, un raté (on dit même un loupé ) autrement dit un problème ! Or justement, pour qu’il y ait une histoire, il faut qu’il y ait un problème. Quand on dit à quelqu’un : « Arrête de faire des histoires ! » on pourrait aussi bien lui dire : « Arrête de poser des problèmes ! » Et donc, plus simplement : qui dit loup dit problème et qui dit problème dit histoire.
Cinescribe : Vous revisitez les contes recueillis par Perrault et Grimm en plongeant leurs héros (les 7 chevreaux et leur maman, le Petit Chaperon Rouge…) dans des univers contemporains. Vous avez même choisi de faire des héroïnes traditionnelles des héros. Le loup Igor se mire dans un miroir magique… et Cendrillon est devenue Cambouis, un clébard exploité par ses beaux-parents propriétaires d’un garage où il réalise des miracles même s’il rêverait d’une vie meilleure. Pourquoi ces changements de sexe ?
Geoffroy de Pennart : Les motivations des auteurs sont parfois très différentes de ce qu’imaginent les lecteurs. Pour Cambouis, au départ, je cherchais simplement à faire une suite à l’un de mes tout premiers albums « Jean-Toutou et Marie-Pompon ». Je voulais refaire une histoire dans un monde de chiens. En cherchant des noms rigolos, j’ai pensé à Lady Wawa, un nom parfait pour une chanteuse de rock. Dans Jean-Toutou et Marie-Pompon, Bobby Beaupoil et sa Foxtrott décapotable tiennent une place de choix et j’ai voulu les faire revenir eux aussi. Je me suis ainsi orienté vers les voitures. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’inspiration, tout a alors évolué d’une façon mystérieuse. J’ai imaginé Cendrillon dans un garage mais Lady Wawa s’est imposée dans le rôle du Prince charmant et, du coup, Cendrillon a changé de sexe et est devenue Cambouis.
Pour Blanchet et les 7 chevreaux, je voulais surtout utiliser le miroir magique. On me dit souvent qu’Igor est élégant, alors j’ai tourné autour de l’idée qu’il veut absolument être le plus élégant et, dans la logique de l’histoire, il a besoin d’un rival plutôt que d’une rivale.
Pour l’anecdote, au départ j’étais parti sur une version beaucoup plus proche du conte original avec une héroïne, Blanchette. Madame Chouxgras, la méchante belle-mère de Blanchette, demande à son chauffeur d’abandonner celle-ci dans la forêt pour qu’elle soit dévorée par les loups. Manque de bol, Blanchette tombe sur Lucas, le loup sentimental, qui en tombe amoureux. Alors Mme Chouxgras décide de finir le travail elle-même mais elle se fait boulotter par Igor…
Cinescribe : La musique tient une place très importante dans vos récits, on songe aux trois petits cochons, à la vache qui crée son propre groupe dans Sophie la vache musicienne, à Cambouis qui chante comme un Dieu… Vous aussi vous auriez aimé être chanteur ?
Geoffroy de Pennart : Oui j’aurais aimé mais je ne suis pas Assurancetourix, je pense aux autres ! J’utilise souvent la musique parce que cela parle immédiatement aux enfants et que c’est facile à mettre en scène. D’ailleurs dans les exemples qui sont cités, je n’avais pas beaucoup d’autres options. Certes Sophie aurait pu se mettre en quête d’une équipe pour participer à un grand concours de pétanque mais je pense que ça aurait moins bien fonctionné ! Les trois petits cochons sont musiciens parce que, dans le loup sentimental, il fallait qu’ils le soient pour attendrir le loup et après, dans Igor et les 3 petits cochons, ils le sont restés. Quant à Cambouis, et bien, comme je l’ai expliqué plus haut, tout est parti de Lady Wawa !
Cinescribe : Comment vous est venue l’idée de la série de Georges le Dragon ? [NDLR : Georges le Dragon est jaloux de Jules, le prince intrépide qui a séduit la princesse Marie]
Geoffroy de Pennart : Au départ cela ne devait pas être une série, juste une histoire, « La princesse, le dragon et le chevalier intrépide ». L’idée m’est venue d’une envie qui, je l’avoue, était assez malicieuse. Dans cette histoire, plus qu’une princesse, Marie est la maîtresse d’école et cela m’a amusé que la maîtresse tombe amoureuse d’un chevalier qui ne suit absolument pas la consigne ! Au passage, je précise que j’ai deux filles dont l’une est maîtresse d’école et l’autre se prénomme Marie.
Ce qui s’est passé ensuite c’est que quand j’allais dans les écoles, les enfants me demandaient : « Mais qu’est ce qu’il va devenir Georges, maintenant que la princesse et le chevalier sont amoureux ? » Alors, je me suis dit : « Si ce personnage plaintif, geignard, ronchon, un peu lâche et somme toute assez moche suscite tant de sympathie, c’est qu’il doit avoir quelque chose ! » Et j’ai fait un deuxième tome qui lui est entièrement consacré. Ce deuxième tome en a amené un troisième et ainsi de suite.
Cinescribe : Dans Georges le Dragon, vous mettez en scène le monde du cinéma avec un producteur Mister Bling et une star féminine Zouzou. Vous êtes plutôt Nouvelle Vague ou RKO ?
Geoffroy de Pennart : Je ne sais pas trop, plutôt RKO je pense. Je viens d’écrire un album illustré par mon ami Laurent Audouin qui est une comédie romantique avec les dinosaures. Je l’ai écrite en pensant à Cary Grant et Katharine Hepburn. Mon film préféré, avec ces deux acteurs, est je crois Philadelphia story, le titre français est Indiscrétions.
Cinescribe : Quels sont les derniers livres ou films que vous avez lus/vus ? Quels sont les auteurs-illustrateurs que vous appréciez ?
Geoffroy de Pennart : Les deux derniers livres que j’ai lus : Ton absence n’est que ténèbres de Jon Kalman Stefansson et La vie Clandestine de Monica Sabolo. Les derniers films Chronique d’une liaison passagère, Revoir Paris et Les enfants des autres. Il y a bien sûr beaucoup d’auteurs, d’illustrateurs et d’auteurs-illustrateurs de livres pour enfants que j’admire et que j’apprécie, évidemment Jean de Brunhoff, Arnold Lobel, Tomi Ungerer, Quentin Blake, Philippe Corentin, Philippe Dumas… Je préfère m’abstenir de citer des auteurs plus jeunes car je les croise souvent sur les salons du livre et j’ai peur d’en oublier, bon allez, un seul alors, Gilles Bachelet.
Cinescribe : Sur votre site, vous précisez qu’en parallèle de vos ouvrages jeunesse vous avez exercé le métier d’illustrateur-graphiste pour des entreprises, des journaux et magazines… Les deux sont-ils complémentaires ?
Geoffroy de Pennart : Oui, absolument. Quand j’ai commencé à travailler en 1974, j’ai d’abord cherché du travail dans l’édition et j’ai plutôt reçu un bon accueil. J’ai fait un certain nombre d’essais mais, pour une raison ou une autre, aucun n’a abouti. Je me suis alors tourné vers la presse et la communication d’entreprise et, assez vite, ça a bien marché. J’étais heureux, je gagnais bien ma vie et j’ai oublié l’édition. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’Isabel Finkenstaedt et les éditions Kaléidoscope, m’ont ouvert les portes de l’édition jeunesse. En 1994, le loup est revenu! m’a véritablement lancé en tant qu’auteur-illustrateur. Pendant les vingt années qui ont suivi, j’ai mené mes deux activités de front. Au début, je vivais principalement de mon activité d’illustrateur et de graphiste pour les entreprises et, entre deux commandes, je me consacrais à l’écriture et à l’illustration d’un livre pour Kaléidoscope. Dans la communication, on est toujours dans l’urgence et la précipitation et j’avais souvent du mal à trouver du temps pour avancer sur mon album mais Isabel, mon éditrice, était compréhensive ! Au fil des années, le succès des livres m’a permis de mieux équilibrer mon temps entre les deux activités et tout a été pour le mieux.
Pour célébrer les 25 ans de la maison, les éditions Kaléidoscope avaient consacré un livret à Geoffroy de Pennart où l’auteur évoquait ses souvenirs d’enfance, ses débuts dans l’illustration… A découvrir en cliquant ici.
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