Reprise en main, de Gilles Perret, le 19 octobre
Gilles Perret a signé plusieurs documentaires à propos du monde ouvrier, et des politiques gouvernementales ou mouvements sociaux ayant permis une amélioration des conditions de vie des travailleurs. Citons pour mémoire J’veux du soleil, road-movie qui dresse le portrait des gilets jaunes, Les jours heureux sur le Conseil National de la Résistance ou La Sociale sur la sécurité sociale… Avec Reprise en main, il adopte cette fois-ci la fiction pour traiter ses thèmes de prédilection. Ce film est d’abord un collectif d’acteurs qui rivalisent de roublardise à l’écran pour nous faire croire à cette histoire rocambolesque de rachat d’entreprise par ses salariés mécontents.
Si plusieurs petites entreprises ont pu éviter de disparaître sous le rouleau compresseur de la mondialisation en adoptant un modèle de coopérative, Gilles Perret nous propose dans ce film un peu bancal une drôle de partie de poker menteur. Le charme et le défaut de Reprise en main est d’avoir joué à fond la carte fiction. Les personnages de cette comédie qui se termine bien (avec un vrai happy end à l’américaine, quel paradoxe pour ce réalisateur « engagé » !) en sont même devenus un peu caricaturaux. Commençons par Cédric, le héros de ce sauvetage improbable. Fils d’ouvrier comme ses amis d’enfance, attaché à sa vallée et à ses montagnes, il est bien décidé à contrecarrer le rachat de sa boîte par un fond d’investissement assez craignos. Cédric a tout du héros comme on les aime : droit, courageux, loyal, justicier… sauf que pour mener à bien sa mission, il devrait être un riche héritier ou évoluer dans le milieu de la finance.
Arrive donc un homme providentiel : Frédéric (joué par Finnegan Oldfield, parfait) un jeune alpiniste comme Cédric, mais avec un carnet d’adresses plus intéressant. Frédéric est un stratège de la finance que de nombreuses banques et boîtes courtisent. Il va donc servir d’intermédiaire entre Cédric et les bonnes personnes. Sauf que Frédéric, habitué à évoluer entre les requins, est lui-même un peu requin. Interviennent donc les amis d’enfance sur lesquels on peut toujours compter. Autant le personnage un peu beauf de conseiller financier de petite banque interprété par Grégory Montel sonne juste et parvient à nous tirer plusieurs sourires, autant l’autre ami d’enfance, joué par Vincent Deniard (par ailleurs bon acteur), semble superfétatoire : l’acteur se contente d’éructer quelques banalités d’ivrogne au bar ou lors d’une soirée trop arrosée. Aucun background, à part qu’il est un maillon de la chaîne (il fabrique certaines pièces d’outillage) et qu’il s’est endetté, ce qui nous vaudra de nouvelles éructations, cette fois-ci en terrasse ! Bref, un personnage à peine esquissé, qui ne sert pas à grand chose, à part à inscrire le film dans un autre genre typiquement nord-américain (le comble pour un film qui critique les néologismes franglais de la finance) : le buddy-movie !
On pourrait continuer la liste de ces personnages dessinés à grands traits : l’amie d’enfance comptable un peu pimbêche (elle se vante d’être montée à Paris pour ses études) qui a collé des râteaux aux trois lascars à l’époque du lycée et qui continue de les snober… jusqu’à ce qu’elle leur serve sur un plateau d’argent la solution à leurs problèmes… pour, je cite, « ne plus se trahir soi-même ». C’est dégoulinant de bons sentiments – et ce n’est pas un reproche qu’on ferait au film car on aime les films avec un bon fond – mais là encore, beaucoup d’incohérences dans ce portrait de femme qui scrolle sans s’interrompre son application de rencontre quand sa mère, très malade, lui parle, puis se découvre soudainement de belles valeurs au contact de Cédric… à moins que… Une autre fin aurait été plus intéressante d’un point de vue dramatique.
Pour un réalisateur qui avait cosigné avec François Ruffin un documentaire intéressant (Debout les femmes !) sur ces travailleuses de l’ombre, ces oubliées des profits que sont les femmes employées dans les services à la personne, Gilles Perret nous offre des portraits de protagonistes féminines assez réducteurs. L’héroïne, présente presque à chaque plan, est la fausse blonde un brin pétasse qui se révèle une chic fille, l’épouse (dont on ne sait rien à part qu’elle rentre tard à cause de son travail) reste toujours dans l’ombre, s’effaçant d’elle-même, « bon les gars, je vous laisse picoler. » Quant à la méchante – il en faut bien une ! – c’est une riche héritière, responsable d’un divorce acrimonieux, poussant son ex à picoler (encore!) et à gober des anti-dépresseurs.
Nonobstant le ton critique de cet article, Reprise en main est un film plaisant qui dégage une belle énergie. On aurait juste aimé que Gilles Perret assume dès les premières minutes la dimension fantaisiste de son histoire d’arnaque qui n’est pas sans rappeler d’autres films choraux comme Braquage à l’ancienne (Going in Style) réunissant cette fois-ci un groupe de vieux (Michael Caine, Morgan Freeman) bien décidés à réaliser le casse du siècle et se venger de la banque responsable de la disparition de leurs pensions… Mais la première partie, un peu longuette, lorgne davantage sur le documentaire avec des remarques très justes sur la vétusté des machines outils et le refus des patrons de les remplacer (au mépris des risques de santé pris par les salariés), les fonds de pension qui engrangent les bénéfices sans prendre aucun risque (principe du Leverage Buy Out), les licenciements abusifs…
Le changement de ton permet au film de gagner en fluidité, en humour, mais l’ensemble perd en cohérence et se révèle par moments un peu caricatural. Néanmoins, en refusant de signer un film trop sombre, au discours anti-capitaliste lénifiant, Gilles Perret accouche d’une comédie franchouillarde sympathique et pleine d’espoir. C’est déjà pas mal par les temps qui courent.
19 octobre 2022 en salle / 1h47min / Comédie dramatique, Drame, Comédie
De Gilles Perret
Avec Pierre Deladonchamps, Laetitia Dosch, Grégory Montel…
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