L’esprit sacré, Chema Garcia Ibarra, 6 juillet

Ne vous fiez pas à l’étrange ressemblance entre l’actrice espagnole qui interprète une ufologue nunuche dans L’esprit sacré (en salle le 6 juillet) et le personnage de Véra Clouseau (Daphne Patakia) dans Ovnis. Ne croyez pas, en dépit de plusieurs séquences drolatiques, que le premier long-métrage du réalisateur espagnol Chema Garcia Ibarra, est aussi léger que la série loufoque diffusée sur Canal Plus. Non, si L’esprit sacré se déroule également dans le milieu ufologique, le film bascule assez vite vers un univers oppressant et dérangeant.

Dans un premier temps, Chema Garcia Ibarra écorne avec humour les amateurs de paranormal en tout genre. Les voisins qu’il met en scène de manière à la fois naturaliste et kitch dans une ambiance très eighties interprètent et appréhendent le monde au prisme du spiritisme, de croyances new age, de mantras cosmiques, de révélations pharaoniques et extraterrestres, tout en conservant des superstitions rattachées au christianisme…

Ce n’est peut-être pas un hasard s’il a choisi de situer son histoire dans la commune espagnole d’Elche (près de Valence) tant les habitants du bassin méditerranéen, surtout d’un âge avancé, continuent de croire au mauvais œil. Mais une fois le décor planté, le réalisateur valencien (Elche est sa ville natale) s’attarde sur un personnage en particulier, le gérant de bar débonnaire, José Manuel, aka Cosmic Pharaon, fils de voyante appréciée dans le quartier, amateur d’ovnis et de légendes égyptiennes.

Le filmant au plus près, le suivant dans les rues d’Elche et sur les routes de campagne, Chema Garcia Ibarra dresse le portrait d’un homme en apparence au-dessus de tout soupçon (bon voisin, dévoué à sa mère malade, bon collègue) mais qui, en y regardant de plus près, est particulièrement dérangé et dangereux. Sans révéler jusqu’aux dernières minutes l’étendue de la folie du serviable (toujours se méfier des personnes serviables en toutes circonstances !) José Manuel (interprété avec brio par Nacho Fernandez), le réalisateur sème des indices, enveloppe les déambulations étranges de son héros d’une nappe de synthés dissonants. La bande-originale fait parfois penser à des moments Stranger Things : ah la merveille du bontempi pour suggérer l’horreur tapie dans l’ombre.

L’esprit sacré n’est pas Henry Portrait d’un Serial Killer et la violence reste contenue hors champ, mais cela la rend encore plus inquiétante. Tout comme cette manière de montrer que la bienveillance du groupe se nourrit parfois des instincts les plus tordus. Les décors et l’ambiance sont typiquement ceux d’une petite ville ouvrière espagnole (les bières Mahou au bar du coin, l’enseignement religieux ringard à l’école, les processions…) mais le naturel des acteurs, tous non-professionnels, fait entrer le film, malgré sa thématique paranormale, en résonance avec la propre réalité du spectateur… En effet, qui n’a pas dans son entourage – proche ou éloigné – une connaissance qui ne jure que par sa médaille porte-bonheur, les vertus de la mémoire de l’eau ou un joli colibri à l’énergie cosmique inégalée ?

La série OVNIS diffusée sur Canal + s’inspirait largement de la déchéance d’un scientifique de renom, Claude Poher, qui emporté par sa soif de croire (dans les voyages interstellaires notamment) tourna définitivement le dos aux principes scientifiques. Et l’on peut aussi citer le naufrage du Professeur Luc Montagnier… Le seul reproche que l’on pourrait faire au film de Chema Garcia Ibarra est de suggérer que seules des personnes crédules, peu éduquées et sans diplômes, issues de milieux modestes, à l’instar des personnages qu’il filme, peuvent renoncer à tout esprit critique. Or, malheureusement, nos élites – politiques et universitaires – regorgent de « croyants », ivres de pouvoir et de surnaturel, et donc tout aussi dangereux.

6 juillet 2022 en salle / 1h37min / Science fiction, Comédie, Drame
De Chema Garcia Ibarra
Titre original : Espíritu sagrado

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