Freaks out, Gabriele Mainetti, 30 mars
Gabriele Mainetti s’est fait remarqué de la critique et du public français avec On l’appelle Jeeg Robot, primé au Festival du Film Fantastique de Gérardmer et à L’étrange Festival. On l’avait compris : le réalisateur a été biberonné aux films de super-héros et cette matrice originelle caractérise chacun de ses films. Mais, si Jeeg Robot était un hommage au Japon et aux mangas, son dernier film, Freaks out signe un retour aux sources avec une action qui se déroule en Italie pendant la seconde guerre mondiale. Malgré la présence de protagonistes aux supers pouvoirs – un télépathe, un homme magnétique, une fée électrique, un indomptable colosse velu – on songe immédiatement à des comédies dramatiques plus classiques telles que La vie est belle jouée et réalisée par Roberto Benigni qui se faisait aussi l’écho de la déportation des Juifs par les nazis.
Israel est le patron d’un petit cirque qui emploie exclusivement des freaks. Certains, comme le géant atteint d’hypertrichose, sont différents du commun des mortels à première vue, d’autres, tels le télépathe qui est capable de communiquer avec les insectes pour composer d’étranges tableaux, passent plutôt inaperçus hors représentation. Israel dirige cette petite troupe avec bienveillance et affection : il a recueilli la plupart de ces freaks alors qu’ils étaient enfants, en proie aux brimades, rejetés par leurs familles respectives. Et aux yeux des soldats allemands et de la Gestapo qui ont envahi Rome, Israel, juif, est encore plus monstrueux qu’une bête de foire.
Super rythmé – malgré sa durée, 2h21 – Freaks out n’est pas qu’un simple film d’action fantastique. Maniant la caméra avec virtuosité, capable de composer des plans d’une beauté formelle à couper le souffle, Gabriele Mainetti révolutionne le film de genre en y apposant une patte toute personnelle. C’est comme si Fellini avait fait des enfants à Guy Maddin. Le spectateur est immergé dans un film multi-référenciel – impossible de ne pas avoir en tête Tod Browning et même Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini quand Matilde court derrière le convoi qui transporte Israel vers une mort certaine – mais contrairement à Tarantino pour qui le cinéma est avant tout un hommage fétichiste, Mainetti s’affranchit de toutes ces influences pour accoucher d’un film qui ne ressemble à rien d’autre vu auparavant. On est loin du néo-réalisme mais ici, la débauche d’effets spéciaux se fait si discrète, si savamment orchestrée, que le film suscite l’émotion en recréant une magie des origines, celle des cabarets, des cirques de province, des fantasmagories de Melies.
Que dire de plus ? Que le méchant nazi est lui aussi un freak, un pianiste aux 6 doigts, méprisé par son frère haut gradé et qu’à travers ce personnage de tortionnaire diabolique et visionnaire – il a vu la mort d’Hitler et la défaite de l’Allemagne – Mainetti s’autorise un sous-arc uchronique. Franz, en quête de nouveaux morceaux, joue Creep de Radiohead devant des spectateurs qui ont oublié sa difformité l’espace d’un pur moment d’émotion. Et le spectateur de faire pareil, de laisser au vestiaire tous ses à- priori sur les films de super-héros, sur les sempiternels combats entre Bien & Mal, pour accueillir ces moments de grâce, où le réel s’estompe, les rêves se déploient dans toute leur étrangeté et parfois atrocité.
30 mars 2022 en salle / 2h21min / Fantastique
De Gabriele Mainetti
Avec Franz Rogowski , Claudio Santamaria , Pietro Castellitto…
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