Van der Valk, saison 2 / réédition Frontière Belge, Nicolas Freeling, éditions L’Archipel
Les amateurs de polars connaissent peut-être les romans du britannique Nicolas Freeling qui mettent en scène un fin limier nommé Van der Valk. Les intrigues se déroulent souvent à Amsterdam avec quelques incursions en Belgique ou à Cologne, en Allemagne. Et parfois, Van der Valk associe villégiature à enquête comme dans Le roi d’un pays pluvieux (clin d’œil à Baudelaire) qui se passe à Biarritz, à cheval entre France et Espagne. Si Freeling n’est pas Simenon, on retrouve chez lui cette connaissance des mœurs des habitants des plats pays et surtout, une plume suffisamment caustique pour rendre compte des multiples visages de cités à la fois envoûtantes et vénéneuses. Parce que comme Simenon, il a eu une vie assez mouvementée, Freeling a accouché de personnages originaux, bien loin des stéréotypes du genre. Son enquêteur est un amoureux de la littérature et donne régulièrement son point de vue sur les nombreux ouvrages qu’il dévore les nuits d’insomnie, comme ici à propos de Tolkien.
Il resta assis la moitié de la nuit. Pour lire, chose étrange chez un policier hollandais. C’était un livre anglais, bien sûr. Un Français n’aurait jamais écrit ça. Mais un Allemand aussi l’aurait apprécié : humour pastoral, poésies et chansons rustiques, montagnes pleines de magiciens, atrocités romantiques, chevaliers en armure et diaphanes princesses. Un bon bouquin pour Louis de Bavière, mais sûrement pas pour un grand spécialiste en femmes et en neurologie. L’auteur avait un nom bizarre, pas tellement anglais. Tolkien : ç’aurait presque pu être un nom hollandais. Ce qui aurait été absolument remarquable.
Freeling fut cuisinier de nombreuses années dans le sud de la France et son amour de la gastronomie est prégnant dans le personnage d’Arlette, une cuisinière qui a épousé Van der Valk. C’est d’ailleurs en officiant comme chef dans un grand hôtel d’Amsterdam qu’il fut arrêté et suspecté de frayer avec la pègre hollandaise. Le policier qui l’interrogea lui servit de modèle pour Van der Valk. Si pour le moment, aucune maison d’édition française n’a jugé bon de traduire et rééditer en français The Kitchen Book et The Cook Book, ses ouvrages gastronomiques d’inspiration autobiographique, L’Archipel a ressorti Frontière Belge en avril 2021.
Mais pour bien appréhender l’ambiance des romans de Freeling, peut-être faut-il commencer par le bien nommé Psychanalyse d’un crime. Dans cet opus, Van der Valk affronte un médecin neurologue bien sous tous les rapports, issu de la très grande bourgeoisie. Aux yeux de ceux qui appartiennent à sa caste, son seul crime semble son manque de sociabilité et sa dévotion aux plaisirs sensibles. Par ceux là, on entend bien entendu quelques liaisons avec les femmes les plus sophistiquées de la haute – mais tant que celles-ci ne s’ébruitent pas trop, personne ne lui en tient rigueur – mais on se réfère surtout à son goût passionnel pour les concerts de musique classique auxquels Van der Post, c’est le patronyme dudit médecin, préfère accourir seul.
Et c’est justement ce que ses pairs jugent comme une faiblesse de caractère qui le rapproche du policier plébéien. Car Van der Valk, fils d’un menuisier en bâtiment et d’une mère accro à la lecture, est aussi sensible au Beau. Pas forcément au luxe, non, qui n’est pas toujours synonyme de beauté bien que tout reste subjectif, me rétorquerez-vous. Et quand, à la suite d’une dénonciation qui ne lui permet pas de mener une enquête officielle, Van der Valk débarque comme patient dans la salle d’attente du médecin, puis pénètre dans son cabinet, il ne peut qu’être sensible au raffinement des meubles, à la douceur des tentures et au choix éclairé des livres de la bibliothèque personnelle.
Son père, qui était menuisier en bâtiment, occupait tous ses loisirs à faire du mobilier : au moment de sa mort, il avait réinventé tout seul la marqueterie. Au cours d’un voyage de trois jours à Paris il était resté planté au Louvre, la bouche ouverte, puis avait passé le restant de ses jours à méditer Oeben et Riesener, Leleu, Weisweiler et Molitor, dont il écorchait les noms mais comprenait parfaitement les idées.
Si Van der Valk exècre le milieu dans lequel Van der Post évolue, le médecin voit dans son faux patient et vrai confesseur une occasion d’être, une fois dans sa vie, franc et vulnérable face à un drôle de policier qui viole allègrement toute déontologie en jouant avec un plaisir cabotin au détective privé. Le jeu du chat et de la souris qui s’était mis en place dans les premières pages est donc brusquement interrompu par un changement de style narratif : le lecteur quitte le cabinet, les joutes verbales entre les deux hommes font place à une lettre-aveu adressée par le médecin à Van der Valk.
Si Nicolas Freeling est demeuré peu connu en France, le succès qu’il a connu au Royaume-Uni lui a valu d’être adapté deux fois à la télévision. La première série fut diffusée de 1972 à 1977 puis de 1991 à 1992 avec dans le rôle titre Barry Foster. Elle était relativement fidèle aux livres avec notamment des personnages identiques, son supérieur, Hoofd Commissaris Samson, et son épouse Arlette.
Dans le reboot de 2020-2022, rien de tel. Le cast a subi un véritable lifting et même si Mark Warren a 54 ans, plus ou moins l’âge du personnage dans le livre, il paraît beaucoup plus jeune. Le supérieur hiérarchique est une femme et exit l’épouse de Van der Valk qui est célibataire dans cette dernière adaptation, toujours produite pour ITV. Pour autant, le charme opère. Warren se montre peut-être même plus proche du personnage original que Barry Foster, laissant régulièrement affleurer une violence et un mépris des convenances très prolétaires. Sec et nerveux, mutique, peu enclin aux grands élans du cœur, il est parfait en analyste à la fois méthodique et empathique. Amsterdam est magnifiquement filmée. Les différentes enquêtes recèlent d’indices liés à l’histoire de cette superbe ville, mention spéciale à l’épisode 2 de la saison 2 avec un tueur en série qui signe chaque crime macabre d’un écrit de Baruch Spinoza. Et les personnages secondaires, notamment Hendrik Davie, le légiste féru de jazz (interprété par Darrell D’Silva), sont très attachants. Ce qui manque peut-être, ce sont les pointes acerbes lancées par Van der Valk à l’égard des touristes de différentes nationalités, mais avec la mondialisation, les particularismes tendent à disparaître.
Il s’était surpris à lire de bout en bout une vieille affiche qui annonçait une exposition terminée depuis deux mois, et qui s’écaillait piteusement sur la paroi métallique d’une vespasienne municipale. Tout à fait comme un touriste allemand religieusement recueilli devant quelque curiosité antique et carrément hideuse.
Avec cette réédition chez L’Archipel et la diffusion de la saison 2, autant de bonnes raisons de (re)découvrir l’univers de Nicolas Freeling.
Commentaires récents