Last Love de Sandra Nettelbeck
La présence de Michael Caine à l’écran se fait suffisamment rare pour que l’on parle de son dernier film en date, le décevant Last Love, réalisé par Sandra Nettelbeck et sorti cet été dans plusieurs pays européens. Face à Clemence Poesy qui retrouve un rôle de jeune femme lumineuse paumée (assez similaire à celui qu’elle jouait dans Bons Baisers de Bruges), Caine illumine un long-métrage très médiocre, adaptation complètement ratée d’un roman pourtant très intéressant, La Douceur Assassine de Françoise Dorner…
Dans Last Love, Michael Caine incarne un professeur de philosophie de l’université de Princeton, à la retraite, qui ne songe qu’à une seule chose : en finir avec son existence, trois ans après le décès de son épouse. Dans le roman, le personnage principal s’appelait Armand Leclair, dans le film ce sera Mister Morgan, un Américain qui s’exprime avec un accent… pas très américain ! Ce n’est que la première incohérence d’une longue liste dans un scenario très mal écrit. Qu’importe, Caine s’acquitte avec brio d’une tâche assez ingrate : le spectateur se prend d’affection pour ce personnage de vieux misanthrope quelque peu hautain… Le problème de Last Love est d’osciller sans cesse entre deux récits : le drame introspectif et la comédie de mœurs hollywoodienne bourrée de clichés. L’impossibilité de réconcilier ces deux tons est flagrante à partir de la deuxième partie du film où l’action bascule carrément dans le grand n’importe quoi… rompant le charme opéré par la rencontre Caine-Poesy.
L’intrigue de Last Love se résume en deux lignes : un veuf, Mister Morgan, retrouve une certaine forme de joie de vivre auprès d’une jeune femme espiègle, Pauline, professeur de danse, au grand désarroi de ses deux enfants. Un script qui pourrait laisser présager une comédie de mœurs peu subtile. La première partie du film parvient, grâce au jeu inspiré des deux acteurs principaux, à capturer l’esprit du roman qui ne constituait en aucun cas une énième variation de Lolita mais plutôt une réflexion philosophique (après tout Armand était prof de philo) autour de la liberté personnelle et du suicide.
Des tentatives de suicide, dans le film, on en verra deux, chacune précipitant l’action, infligeant au scenario une accélération complètement artificielle, prétexte à introduire de nouveaux personnages ou des rebondissements prévisibles et regrettables. Après le premier suicide -raté- du professeur, sa fille, Karen, fait son apparition avant de disparaître 10 minutes plus tard… L’intérêt de ce personnage ? Offrir à Gillian Anderson (en mal de rôle) la possibilité d’interpréter une garce cupide, donner une tentative d’explication à la froideur qui caractérise les relations entretenues par Morgan avec sa progéniture ? Dès lors, l’action se resserre autour d’un ressort dramatique grotesque : la méfiance inspirée par Pauline au fils de Morgan, Miles, qui la considère comme une bimbo, prête à tout, pour hériter de la maison familiale à St Malo. Quand on connaît St Malo, on se dit qu’on peut rêver mieux comme héritage de la part d’un Américain fortuné à Paris !
Comment expliquer un tel ratage ? La réalisatrice semble avoir voulu donner une touche plus glamour au récit initial, ceci explique peut-être pourquoi Armand est devenu un prof émérite de Princeton, pourquoi Pauline n’est plus une simple vendeuse-caissière, pourquoi l’écran est inondé d’images d’Épinal dignes d’une pub de parfum intitulée « Paris je t’aime »… Le désir de suicide d’Armand, au cœur des dialogues et de l’intrigue, pose également problème… tout comme la recherche d’affection de Pauline. Du coup, on a cru bon d’expédier le tout à dix minutes de la fin- avec un triangle amoureux convenu mais incompréhensible où le fils finit par supplanter le père dans les bras de Pauline ! Ce qui au final laisse planer des doutes sur l’amitié qu’entretenait la jeune femme avec le vieil homme désabusé… et si l’héritage n’était finalement pas la seule raison de cette complicité… Au moment où le générique de fin retentit, le spectateur est particulièrement énervé mais il ressent aussi une certaine tristesse à quitter définitivement Monsieur Morgan. Ne serait-ce que pour trois moments (notamment lorsque la carapace de Morgan éclate, le vieil homme en sanglots dans les bras de Pauline) le film a mérité notre attention.
Le personnage interprété par Caine m’en a rappelé un autre, au demeurant aux antipodes de Monsieur Morgan : Richard, le poète atteint du Sida, qui se suicide dans l’adaptation cinématographique réalisée du roman The Hours de Michael Cunningham. Le couple incarné par Meryl Streep et Ed Harris dans The Hours était tout aussi inconcevable que celui formé par la jeunette et le vieillard. Pourtant, il était animé par la même dynamique : celle du sauveur et du sauvé. De la « douceur assassine », de la violence contenue dans ce titre sous forme d’oxymore, la réalisatrice Sandra Nettelbeck ne retient que deux ou trois instants exemplifiés par des piques verbales perdues au milieu de dialogues empesés.
La scène où Morgan révèle à Pauline qu’il a tenté de mettre fin à ses jours à cause d’elle fait écho à celle, un peu plus tôt, où le philosophe la rabaissait en la comparant à l’une de ces multiples ombres qui s’agitent dans la vie de chaque homme, à grand renfort de bruits, de babillages divers, le détournant de ce qui importe vraiment. La Douceur Assassine ou The Hours présentent le suicide comme l’acte de personnes libres et lucides, pressées d’en finir avec la vie, non sous le coup d’une forme de folie ou de dépression, mais parce qu’elles estiment, avec raison et après mûre réflexion, avoir fait le tour de la question… Pour faire face à l’incompréhension que peut susciter cet acte radical, le spectateur de The Hours pouvait se raccrocher à la condition peu envieuse de Richard, miné par la maladie… ce qui n’avait pas empêché de nombreux critiques de descendre ce personnage prétendument odieux qui s’évertuait à terroriser une Mrs Dalloway contemporaine, occupée à faire le bien autour d’elle, à rester toujours « positive », credo d’une existence finalement bien vide.
Dans Last Love, le deuil pouvait aussi constituer une explication valable… balayée par la temporalité du récit (qui se déroule trois ans après le drame) et le charisme de Caine, imperturbable et très terre à terre… Non, la véritable violence de l’intrigue de départ, ce n’était pas de faire l’apologie du suicide via Caine mais plutôt, de mettre en scène -de manière fastidieuse et ratée dans le film- les tentatives du personnage de Pauline pour sauver un être qui ne désirait qu’une chose : qu’on le laissât tranquille… à la manière d’un vieux sage stoïcien. Certainement une référence qui est passée au-dessus de la tête de la réalisatrice.
Date de sortie : 11 juillet 2014 (Royaume-Uni) et 14 août 2014 (Espagne)
Réalisé par Sandra Nettelbeck
Avec Michael Caine, Clémence Poésy, Gillian Anderson…
Genre : Drame
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