Les Voisins de mes voisins sont mes voisins

Drôle d’objet filmique que ce long-métrage d’animation au titre à rallonge (Les Voisins de mes voisins sont mes voisins) construit tel un patchwork hétéroclite de tranches de vie. Soit Popolo, un magicien qui coupe malencontreusement les jambes de son assistante, la jolie Amabile, lors d’une représentation en public. Nous sommes dans un monde qui ressemble beaucoup au nôtre, il y a quelques années, avec les affiches électorales de Ségolène Royal, les autocollants Pif Gadget, les flash infos sur l’accident de Lady Di, les enseignes de supermarché que l’on reconnaît bien. Plusieurs époques, plus réalités se télescopent. Mais nous sommes aussi dans un univers féerique. Pas étonnant donc de croiser un ogre édenté dans un immeuble très haussmannien (la cage d’ascenseur est minuscule), personnage déjà vu dans le court La Saint Festin (2007) des mêmes réalisateurs Léo Marchand et Anne-Laure Daffis. Et l’on ne sera pas plus surpris quand les jambes de la belle se font la malle – sans mauvais jeu de mot – et trouvent refuge dans la cave de l’immeuble où résident les voisins du titre.

Le point de départ de cette étrange aventure est la déconfiture de Popolo qui se fait renvoyer du cirque, perd l’amour de sa dulcinée et se retrouve donc obligé de pointer à Paul Emploie (le film regorge de jeux de mots, pas tous immédiatement compréhensibles). Mais très vite, son destin est lié à celui d’autres individus également « empêchés » par la vie. C’est bien l’impuissance qui caractérise le destin de cette drôle de faune humaine. Isabelle est maman à plein temps, ce qui lui laisse peu de liberté pour répéter ses chorégraphies de flamenco. Monsieur Demy, senior réservé, aimerait bien partir en vacances mais il n’ose le faire sans partenaire. Quant à l’ogre, eh bien, sans dents, pas d’enfants à croquer !

Si le film multiplie les décors – le terrain vague où est garée la caravane de Popolo, le rayon boucherie où il est forcé de travailler, le cabinet du dentiste où se rend l’ogre – la cage d’ascenseur constitue l’épine dorsale de ce petit monde, l’endroit où tout le monde s’arrête pour bavarder. A l’intérieur, on découvre deux autres personnages loufoques : le chien philosophe Picasso et l’explorateur François Truducou, champion d’ascension de collines et expert en sudoku. Ce dernier personnage est particulièrement malmené par les scénaristes. Il passera tout le film enfermé dans l’ascenseur, multipliant les tentatives d’évasion ratées. Sa prétention n’a d’égale que le fatalisme et la sagesse de son compagnon canin.

Les différents personnages sont doublés par des acteurs, actrices et humoristes de talent qui s’en donnent à cœur joie : Valérie Mairesse, Arielle Dombasle, François Morel, Didier Gustin… Jolie satire sur les petites choses du quotidien qui lient ou, au contraire, nous rendent étranger aux autres et à nous-même, Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est aussi un hommage au 7e art et à la création sous toutes ces formes. Les parents cinéphiles apprécieront les nombreux clins d’œils. Popolo ressemble beaucoup à Roberto Benigni dans Down by Law de Jim Jarmusch. Didier Gustin prend la voix et les intonations de Michel Serrault pour donner corps à Monsieur Demy qui n’est pas sans rappeler Jacques Demy.

Ce film en apparence bricolé de toutes parts est en fait vertigineux d’un point de vue technique, la 2D côtoie les prises de vues réelles, les collages, des murs si pixelisés qu’ils ont l’air d’être en 3D, les réalisateurs ont même emprunté au Centre national du cinéma et de l’image animée un écran à épingles, doté de 400 000 aiguilles sur lesquelles on appuie pour dessiner des ombres. Ce dispositif date des années 1930. Atemporel et terriblement contemporain, Les Voisins de mes voisins sont mes voisins mérite plusieurs visionnages tant cet univers original recèle des trouvailles scénaristiques et visuelles.

2 février 2022 en salle / 1h30min / Animation, Comédie
De Anne-Laure Daffis, Léo Marchand
Par Anne-Laure Daffis, Léo Marchand
Avec Arielle Dombasle, Valérie Mairesse, Olivier Saladin, Cyril Couton, Elise Larnicol, Didier Gustin, François Morel…

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