Marché noir, Festival Reims Polar 2021 – Prix du Jury, de Abbas Amini, 5 janvier
Aujourd’hui est sorti en salles l’excellent Marché Noir du réalisateur iranien Abbas Amini, Prix du Jury au dernier Festival Reims Polar. Ce film mystérieux nous plonge dans les entrailles d’un abattoir, monde où la puanteur des carcasses la dispute à celle – métaphorique – de pourris en tous genres. Dans Marché Noir, le spectateur est ballotté entre différents univers à la fois proches et lointains. On passe d’une chambre froide à un enclos pour brebis, puis on roule à toute allure dans les rues de Téhéran la moderne, avant de s’assourdir dans une salle de vente et finir par montrer patte blanche dans une banque.
Si son film possède tous les codes du polar, Abbas Amini a réussi à donner une profondeur sociologique à son récit de trafic de devises. Les plans s’enchaînent relativement vite et le montage, fluide, magnifié par une très belle photographie de nuit et de crépuscule, montre clairement la concomitance de mondes – seulement dissemblables en apparence – gangrenés par la même corruption. Si Amir porte du parfum français – offert par un compagnon d’infortune lors de son séjour dans la jungle de Calais – il réagit pourtant aux provocations verbales d’Asra, jeune femme voilée, qui ne cesse de mettre en doute sa masculinité pour le forcer à agir. Amir, héros tragique au physique herculéen est pied et poing liés, pris dans un tissu de mensonges, imposés par son père, tyran domestique lâche dont il n’arrive pas à s’affranchir. Son expérience française lui a permis de prendre du recul sur la situation politique et économique de son pays mais Amir ne parvient pas à faire entendre son point de vue et raisonner les anciens, tous plus coupables les uns que les autres.
Dans ce film à la fois oppressant et hypnotique (mention spéciale au travail sur le son), on crie beaucoup mais finalement personne ne parle la même langue. Ce décalage culturel et générationnel est d’ailleurs évident dans les scènes finales où Amir rencontre la famille d’un des morts qu’il a enterré en cachette avec son père, gardien de abattoir. Amir a besoin qu’on lui traduise leurs paroles. Amir, le Perse, qui a vécu en Europe, ne comprend pas les allusions d’Asra l’Arabe qui continue de tenir aux traditions, à la justice du talion. Le réalisateur ne juge pas ses personnages prompts à étouffer leurs élans moraux pour survivre ou se rendre justice. L’écheveau des relations perverses déployé sous nos yeux n’est que la conséquence de stratégies géo-politiques qui asphyxient la population et la contraignent aux mauvais choix. La solution serait partir. Oui, mais où ? Et comment ? En finissant esclave de passeurs avides de fric ? En étant débiteur d’une famille restée au pays qui attend toujours plus d’argent du fils parti en Europe ?
La quiétude bucolique des marais à buffles de Mésopotamie n’est que transitoire. Ici, après les combines foireuses, c’est la loi du sang qui compte dans un état où le délitement des institutions empêche la justice d’advenir. Il y a dans Marché Noir une dimension tragique qui surprendra peut-être les spectateurs en manque de scènes d’action. Mais c’est pourtant cette tension permanente entre un père impuissant (et pourtant responsable de la chute de tous) et un fils complice malgré lui qui tient en haleine jusqu’à la fin. Un polar noir et désenchanté.
5 janvier 2022 en salle / 1h42min / Thriller, Policier, Drame
De Abbas Amini
Par Abbas Amini, Hossein Farokhzadeh
Avec Amirhosein Fathi, Mani Haghighi, Baran Kosari
Titre original Koshtargah
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