Le chant de l’ours, épopée vepse, Nina Zaïtséva, éditions Borealia

Nous avions déjà évoqué cette maison d’édition indépendante, sise dans le 19e arrondissement de Paris à l’occasion d’une chronique des livres de la collection jeunesse Petit Renne. Borealia a été fondée par la chercheuse Emilie Maj qui a soutenu une thèse sur le cheval chez les Iakoutes, réalisé plusieurs terrains ethnographiques pour L’Institut polaire français Paul-Émile Victor et travaillé au Quai Branly. Sa soif de transmettre l’a conduite à s’entourer de traducteurs et auteurs mongoles, iakoutes, mansis, innus… L’objectif de Borealia est de faire découvrir aux lecteurs francophones des romans comme Radio Nord de Danilas Lensky (dont nous reparlerons bientôt) qui relatent le quotidien des habitants du cercle arctique, mais aussi des épopées, nouvelles ou récits illustrés qui s’inspirent des traditions orales des Peuples autochtones du grand Nord.

Le Chant de l’Ours est un récit choral où s’entremêlent les voix de plusieurs narrateurs-conteurs. La parole n’est pas figée; dynamique, elle se partage, et les récits s’enrichissent au fil des versions.

On faisait le feu des Vepses,

On s’asseyait tout autour

Afin de parler du monde.

Chacun de nous à la ronde

Par son dire et par ses faits

Fournissait matière à l’histoire.

L’auteure de cette version contemporaine de l’épopée des Vepses, Nina Zaïtséva, explique en préambule sa motivation première : transmettre les chants qu’elle a reçus enfant et adolescente de ses aïeuls avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli.

Chaque mot vient des ancêtres,

Et sorti du fond des temps,

Chaque mot est ciselé

Et lavé par chaque lèvre (…)

Quand grand-père me disait

Les très anciennes paroles,

Je les écoutais, ravie,

Et je les ai retenues.

S’opère ensuite un passage de relais et l’on entend ensuite l’ours, père du peuple et maître de la forêt, un vieux moustique, la Same Saïra, prise pour épouse par Vir, tante Anni la guérisseuse, Van’oï le berger…

Un ours grimpa sur un pin.

Il était vêtu de neuf,

D’un pantalon fait de foin,

D’une chemise de paille,

Portait des moufles de pierre

Et des chaussures d’argile.

Les enseignements sont nombreux : le lecteur est confronté à une société rurale de bergers, de chasseurs cueilleurs et d’agriculteurs qui vivent en harmonie avec la Nature et enseignent à leurs enfants à la respecter.

Les conseils donnés par les différents guides qui invitent le lecteur à parcourir la forêt vepse ne sont pas sans rappeler les instructions données par les êtres sacrés d’autres traditions indigènes, je songe ainsi aux Yeis navajos qui peuplent les Voies, ensemble de chants et de récits de tradition orale qui en constituant un manuel de savoir-vivre avec les forces de la Nature fondent les cérémonies de guérison.

Les arbres sont nourriciers mais pour bénéficier de leurs bienfaits, il convient de ne pas les endommager ; cette règle s’applique au plus petit des habitants de la forêt, au moindre de ses rochers, aux cours d’eau rencontrés le long des chemins…

Le pin protège du froid,

Le pin recouvre de chaud,

Vous ramène à la maison,

Vous met sur le bon chemin (…)

Près du lac, de la rivière,

Un abri vous trouverez

Si vous faites moins de bruit

Qu’une petite souris;

Mais ni méfait, ni crachat.

Le principe régulateur est la mesure en toute action comme l’indique cet adage transmis par l’ours « Si vous allez en forêt, N’y prenez point de bâton Que vous n’en ayez besoin »; l’harmonie et l’abondance dépendent aussi des relations d’entraide entre les différents villageois.

Il fallait travailler dur

Pour espérer maintenir

Ce qui vit dans le village.

C’est pourquoi ils se liaient,

C’est pourquoi ils s’unissaient

Pour ignorer les disputes (…)

Le texte poétique proposé par Nina Zaïtséva se nourrit de multiples influences. Puisant dans ses propres souvenirs, l’auteure s’est aussi inspirée des voikud, chants de lamentations utilisés lors d’événements tristes (mort / départ) mais aussi joyeux (mariages). Elle a également incorporé au récit des éléments de rituels tel l’ümbärduz destiné à la protection des bergers. Enfin, elle a aussi mis en lumière un poème contemporain L’oiseau s’est envolé de la poétesse Valentina Lebedeva dont plusieurs éléments sont intégrés à la chanson de la jeune Tal’oï.

Traduit du vepse au français par Guillaume Gibert qui a également collaboré avec le poète Pierre Présumey pour en rendre toutes les subtilités poétiques, Le chant de l’ours est illustré par le peintre estonien Jüri Mildeberg, ce qui confère à cette entreprise de transmission et de sauvegarde de la langue vepse une dimension artistique indéniable. Au final, ce livre ravira les amateurs de récits épiques et magiques et toute personne intéressée par les peuples autochtones du grand Nord.

 

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