Shanghai, Hong-Kong, villes de cinéma
Il y un peu plus d’une semaine est paru aux Éditions Armand Colin un passionnant petit essai sur deux villes très cinématographiques : Shanghai et Hong-Kong. L’auteur, Christophe Falin, connaît son sujet sur le bout des ongles puisqu’il est vice-président de l’Association Française d’Études Chinoises (AFEC), il donne également des cours au département cinéma de l’UFR Arts, philosophie et Esthétique de l’Université Paris VIII.
La première partie, un peu ennuyeuse, permet néanmoins de planter le décor : l’auteur fait l’historique mouvementé des différentes maisons de productions ciné chinoises. On constate que le développement ou au contraire la déliquescence de certains studios –Xinhua, Daguan, China United Production Ltd, Kulun, Great Wall, Shaw Brothers– sont interdépendants des événements politiques qui agitent la région de la fin des années 1930 jusqu’au milieu des années 1960 : deuxième guerre sino-japonaise (1937-1945), arrivée au pouvoir des communistes (1949), révolution culturelle de 1966…
L’un des chapitres de l’ouvrage est également consacré à Pekin, symbole d’un cinéma urbain engagé caractérisé par la production de documentaires mettant en scène les conséquences de l’industrialisation du pays dont le récent et excellent 24 City sur la destruction d’une cité ouvrière à Chengdu, ville du centre du pays, est le direct héritier.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution du cinéma chinois mais l’auteur a choisi de centrer son étude sur deux villes, en apparence très dissemblables et pourtant modelées par un même destin historique et cinématographique. Jusqu’à l’émergence récente de Pekin, Shanghai et Hong-Kong se sont disputées l’essentiel de la production.Caractérisées par une même identité cosmopolite et un pouvoir d’évocation certain, les deux villes ont attiré les occidentaux et les capitaux. Un excellent chapitre revient ainsi sur les fantasmes générés par Shanghai auprès des réalisateurs occidentaux qui, de Joseph Sternberg avec Shanghai Express en 1932 à Orson Welles avec La Dame de Shanghai en 1947, mettent en scène des ambiances mystérieuses avec des femmes vénéneuses, des avocats véreux et beaucoup d’opium… sans jamais avoir tourné dans la ville !
De plus, Christophe Falin ne néglige pas l’aspect littéraire des productions cinématographiques avec Shanghai pour toile de fond, en consacrant un sous-chapitre à Zhang Ailing dont les romans et nouvelles ont régulièrement fait l’objet d’adaptations au cinéma (Un amour dévastateur, Lust, Caution…). Mais, ce qui frappe dans l’étude de Christophe Falin, c’est la manière dont les deux villes ont servi de refuge aux nombreux cinéastes, acteurs et chefs-opérateurs, fuyant les divers gouvernements en place.
Dans un premier temps, le développement du cinéma Hong-kongais sera lié à l’interdiction de produire des films en cantonais, proclamée par le gouvernement nationaliste de Chang Kaï-chek pour promouvoir le mandarin comme la langue de l’Union Nationale. Plusieurs studios basés à Shanghai décident alors d’ouvrir des succursales à Hong-Kong. En 1945, avec la fin de l’occupation japonaise -qui a considérablement réduit la production- des réalisateurs et acteurs employés par la China United Production Ltd fuient à Hong-Kong, accusés d’avoir collaboré avec les Japonais. Mais, de la même manière, les cinéastes qui avaient fui Shanghai pour Hong-Kong en 1937 reviennent à Shanghai pour y tourner de grandes fresques historiques mettant en scène l’oppression des Chinois par les Japonais (Larmes du Yangzi) ou les conditions difficiles de la reconstruction (San Mao le petit vagabond)
1951 marque le début de la censure et un nouveau départ à Hong-Kong pour les cinéastes (ré)établis à Shanghai. Mao Zedong critique l’immense succès public La Vie de Wu Xun du réalisateur Sun Yu, accusé de défendre des valeurs féodales. Le cinéma en mandarin va décoller à Hong-Kong et Shanghai, Paris de l’Orient, va définitivement être reléguée aux oubliettes. Christophe Falin revient bien évidemment sur l’internationalisation de la production chinoise depuis la rétrocession de Hong-Kong à la Chine en 1997 dont le meilleur exemple est certainement Tigre et Dragon, avec des financements américains (Columbia Pictures), hongkongais et chinois, des acteurs originaires de Hong-Kong (Chow Yun Fat) ou de la minorité chinoise de Malaysie (Michelle Yeoh)…
Mais, l’intérêt du petit ouvrage de Christophe Falin réside avant tout dans la deuxième partie, sobrement intitulée « Les multiples visages de Shanghai et Hong-Kong ». L’auteur montre comment l’urbanisme des deux villes a contribué à leur image et captation cinématographiques. A Shanghai, le lecteur est invité à parcourir les Lilongs des années 1930, les lieux de consommation (cabarets mais aussi immeubles de bureaux) pour ensuite s’envoler vers la magnifique baie de Hong-Kong et le quartier Tsim Sha Tsui, décor de nombreux thrillers… L’ouvrage se conclue avec le portrait de trois réalisateurs majeurs : Lou Ye, Wong Karwai et Johnnie To avec une analyse fine et pertinente de l’impact de leur œuvre cinématographique sur la représentation imaginaire et sociale des deux villes.
Shanghai / Hong-Kong, villes de cinéma
Auteur : Christophe Falin
Éditeur : Armand Colin – Collection : Cinéma / Arts visuels
Format : Broché – 160 pages
EAN13 : 9782200275112
Date de parution : 02/07/2014
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