Helmut Newton, l’effronté, de Gero von Boehm, 14 juillet
Peut-être fallait-il que ce soit l’un de ses compatriotes, le réalisateur allemand Gero von Boehm (surtout connu pour son travail à la télé), qui fasse son portrait pour qu’enfin, Helmut Newton, se révèle comme un être éminemment complexe, le produit de l’Allemagne nazie, et pas juste le photographe inventeur du courant « porno-chic. » On a reproché beaucoup de choses à cet artiste d’extraction juive qui se réfugia en Australie avant de devenir le photographe incontournable des stars en devenir (Charlotte Rampling, Isabella Rosselini, Grace Jones…), l’ami cabotin d’Anna Wintour, et surtout celui par qui le scandale arrive. Helmut a révolutionné la photo de mode en démocratisant le nu et en multipliant des compositions osées peuplées de femmes à la plastique irréprochable et à l’attitude conquérante. Les actrices, top-modèles ou autres célébrités interrogées, évoquent toutes un homme facétieux mais respectueux, travaillant très vite, qui possédait le pouvoir de les mettre à l’aise en toute circonstance. Si Newton est connu pour ses clichés érotiques, parfois inspirés de l’univers SM, les témoignages de ces anciennes modèles montrent que le photographe ne se contentait pas de surfer sur une vague mercantile très vendeuse. Les photos d’Helmut Newton sont caractéristiques d’une époque mais ils sont aussi souvent critiques de cette même époque caractérisée par l’avènement de l’objectivation du corps de la femme et du mariage entre luxe et bling.
Ainsi, cette série mettant en scène une jeune femme assise dans un fauteuil roulant ou à la jambe corsetée… Ses détracteurs lui reprochèrent de se moquer des personnes handicapées quand la top-modèle ainsi immortalisée, la sculpturale Nadja Auermann (qui détint un temps le record des plus longues jambes dans le Guinness Books of Records), expliquait que pour la première fois, elle s’était sentie libérée car Helmut se moquait ainsi des diktats de la mode qui impose de marcher avec des talons hauts particulièrement handicapants pour celle qui les porte.
Lors d’un autre shooting, elle pose telle une poupée Barbie qu’on aurait abandonnée – après usage- sur un lit. Là encore, la top modèle défend les choix visuels du photographe en suggérant que cette série de clichés illustrait le sort peu enviable de nombreuses femmes traitées comme des objets. Newton choque et provoque car il semble osciller entre deux conceptions de la femme diamétralement opposées. Femmes presque androgynes, dans des attitudes combattantes, et femmes dans des postures de soumission, comme la top-modèle noire Grace Jones, photographiée des chaînes aux chevilles. Ce cliché souleva l’une des vagues de protestations les plus virulentes à l’encontre de Newton… et la principale intéressée de rire de l’incident et de mentionner ces autres clichés de Newton, pris en 1985, pour Playboy, où, en duo avec Dolph Lundgren, elle apparaît comme dominatrice. A l’époque, photographier un couple interracial (Lundgren et elle sortaient ensemble) était plutôt rare dans l’Amérique conservatrice et raciste.
Au cœur de la contradiction Newton, il y a son adolescence. Athlétique, séducteur, il connaît ses premiers émois dans une piscine qui bientôt n’acceptera plus les Juifs et les chiens. Bien conscient du danger, il ne peut s’empêcher de vibrer, comme il l’admet lui même à la vue de la mise en scène des corps aryens par la propagandiste du régime nazi, Leni Riefenstahl. Choyé, couvé par une mère qui portait la culotte au sein du foyer et qui défendit contre les admonestations paternelles son envie de devenir photographe, Helmut Newton devient l’apprenti d’une autre femme de caractère, la photographe juive Else Ernestine Neuländer-Simon, plus connus sous son pseudonyme Yva. D’elle, Newton dit « je vénérais le sol qu’elle foulait. » Yva perd la vie dans un camps de concentration en 1942, mais Newton, futé, a compris le danger et mis les voiles depuis un certain moment puisqu’il quitte l’Allemagne et son cher Berlin dès 1938. Et c’est en Australie, toujours au bord de l’eau, qu’il fait la connaissance de celle qui deviendra son épouse, sa complice, sa muse, son exécutrice testamentaire, June, qui est décrite comme sa « maman » et qui deviendra aussi une photographe réputée sous le pseudo d’Alice Springs.
Alors, est-ce que Newton était misogyne comme l’avait accusé Susan Sontag lors d’un Apostrophe avec Bernard Pivot ? Comme le dit avec tant d’élégance Charlotte Rampling, on s’en moque, ce qui reste de lui, ce sont ses photos, son art, et l’impression – plutôt bonne, voire excellente – qu’il a laissée aux personnes avec qui il a travaillé. Newton était de toute évidence un provocateur qui aimait cabotiner derrière et devant la caméra -comme le prouvent les différentes archives montrées dans ce documentaire (films de famille, émissions TV, photos d’ami-e-s…).
Le film ne donne pas la parole à ses détracteurs (ce que certains spectateurs pourraient lui reprocher) et apparaît in fine, tel un hommage à une personnalité restée insaisissable de son vivant. Peut-être son obsession pour les modèles blonds type allemand – il avait photographié Claudia Schiffer en tenue traditionnelle – aurait pu être davantage analysée et articulée avec le racisme en vigueur dans l’industrie de la mode et chez Vogue jusqu’au début des années 2000 en donnant la parole à des modèles plus typés comme Yasmeen Ghauri (d’origine pakistanaise) ou Farida Khelfa (lyonnaise d’origine algérienne devenue la muse de Jean-Paul Goude) qui refusa à plusieurs reprises de poser pour lui. Mais, en instaurant un dialogue – même post-mortem – entre ses modèles femmes – Newton détestait photographier les hommes qu’il comparait à des accessoires – et l’artiste, le documentaire balaie d’un revers de main les accusations de misogynie, de racisme et que sais-je d’autre, pour livrer une réflexion poignante et souvent drôle sur l’alchimie fragile mais réelle entre un créateur et ses sujets.
14 juillet 2021 / 1h33min / Documentaire
De Gero von Boehm
Avec Helmut Newton, Isabella Rossellini, Charlotte Rampling, Grace Jones
Titre original : Helmut Newton – The Bad And The Beautiful
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