Promising Young Woman, Emerald Fennell, en salles depuis le 26 mai
La scène d’ouverture du film est malheureusement trop commune. Une jeune femme, éméchée, un peu perdue, se retrouve seule, la tête qui tourne, les bras ballants, les jambes entr’ouvertes, sur une banquette dans une discothèque. Un groupe de mecs – bien gras, genre lourdauds – la regardent avec complaisance et insistance tout en émettant des jugements négatifs sur celle qu’ils méprisent bien qu’elle les attire. Finalement, l’un d’entre eux se lève et sous les encouragements de ses pairs, tente une première approche puis se ravise. Bon prince, il va appeler un taxi pour qu’elle puisse rejoindre son domicile.Mais en restera-t-il là?
Chapeau bas à la réalisatrice Emeral Fennell (et peut-être aussi à son directeur/sa directrice de casting) pour sa direction d’acteurs. Adam Brody sera rapidement hors champs, éjecté du lit et de l’intrigue par celle qu’il pensait soumettre. Mais les regards qu’il aura porté à sa victime potentielle dans le taxi en disent long sur ses véritables intentions et sa capacité de prédation. Carey Mulligan, présente elle, presque à chaque plan, est prodigieuse. Elle passe de la Lolita à la femme usée et facilement abusée en un clin d’œil. Normal, elle n’est ni l’une ni l’autre.
La réalisatrice trompe nos attentes, surprend le spectateur à chaque instant, laissant entrevoir des explications qui n’en sont jamais. Ainsi, cette scène de drague machiste crasse avec des ouvriers du bâtiment, au petit matin, en miroir de la scène de présumé meurtre, restée hors champs. La pauvre femme sans défense de la discothèque s’est muée en prédatrice, une traînée de sang sur son avant-bras témoignant du carnage de la veille… Sauf que non ! La première partie de Promising Young Woman est tout bonnement jubilatoire. On croit voir un film sur une tueuse en série qui ajoute et barre un trait supplémentaire dans son calepin, pour chaque homme assassiné, une énième variation -cette fois-ci féminine – sur le psychopathe aux deux visages. Mulligan joue à merveille la jeune fille modèle qui réside encore chez ses parents le jour et mue en chasseuse sanguinaire la nuit. Tout, de l’étouffant intérieur familial, sorte de maison de poupées remplie de chandeliers et de porcelaines, en passant par l’absence d’ami-e-s, d’ambitions amoureuses ou professionnelles porte à croire cela. Sauf que les indices parsemés ici et là induisent en erreur. Oui, il est bien question de viol dans ce film, mais ce n’est pas Cassie, l’héroïne principale, qui en a été victime mais sa meilleure amie, Nina, figure mystérieuse et fantomatique.
Et c’est là où le film bascule dans un autre genre : le drame. Sans jamais se départir de son improbable mélange de satire sociale (celle des Boys’ Clubs et du milieu des internes en médecine) et de thriller, Promising Young Woman poursuit sa course vers un dénouement qui en surprendra plus d’un mais qui n’a rien à envier aux grands classiques. Déclinée en 4 actes, annoncés comme tels par des cartons avec chiffres romains, la vengeance de Cassie sera totale. Mais, et c’est là la suprême intelligence du film, la jeune femme se révèle aussi machiavélique qu’empathique. Celle qu’on pourrait prendre pour une sociopathe – qui planifie chaque mouvement de ses adversaires, les emmenant exactement là où elle le désire – est davantage un agent du Destin qu’un ange de la mort. La fin – qui contredit toute l’intelligence du personnage – semblera un désaveu pour les féministes, on n’en dira pas plus pour ne pas « spoiler » mais cette fin surprenante fait entrer le film dans une autre dimension, plus subtile, autour du motif de la perte et du deuil inconsolable.
Certains critiques ont reproché à la réalisatrice d’avoir laissé la victime, Nina, dans l’ombre de Cassie. Mais, c’est en explorant les ravages du traumatisme dans la tête de ceux qui restent que Promising Young Woman gagne en profondeur dramatique et se démarque notablement de tous les films déjà réalisés sur le même sujet. Par ailleurs, la réalisatrice a pris soin de montrer que la culture du viol et surtout de son déni prospèrent partout, et souvent, dans les milieux en apparence les plus respectables. Comme l’affirme Cassie, « gentlemen are sometimes the worst. »
Au lieu de suivre la mode du moment de l’exaltation un peu niaise d’une sororité édénique, Emerald Fennell montre aussi des personnages féminins – comme cette doyenne d’université, cette ancienne amie de promo ou même la mère de Nina- qui préfèrent enterrer le mal, le nier, plutôt que de rendre justice à la victime. Pour la réputation de l’établissement scolaire, pour la façade bourgeoise et « immaculée » de la famille et pour la tranquillité de la communauté… Les femmes ne sont donc pas en reste pour rejeter la faute sur la victime – « ne l’a-t-elle pas cherché par son comportement, son ébriété, sa personnalité » – par des procédés bien médiatisés aujourd’hui – comme en témoignent les dernières affaires Coline Berri ou autres – en faisant passer celle qui rompt le silence pour folle ou indigne d’être crue.
En dépit d’une fin élégiaque qu’on aurait aimé autre pour le personnage de Cassie, Promising Young Woman se révèle un film bien plus intéressant que son marketing post « Me-Too ». C’est un film sensible, roublard, intelligent et profond sur le traumatisme et la recherche de justice et de vérité. Et que les pourri-e-s se le disent, même mortes, les victimes ne sont jamais réduites au silence, elles continuent d’exister à travers celles et ceux qui les ont aimées et qui par leur simple présence empêchent les criminels de dormir.
26 mai 2021 / 1h48min / Thriller, Drame, Comédie
De Emerald Fennell
Par Emerald Fennell
Avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Alison Brie
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