Josep, de Aurel, 30 septembre, Prix Gan Festival d’Annecy, sélection Cannes 2020.
Rivesaltes, février 1939. La méditerranée toute proche. De l’autre côté, Barcelone. Josep Bartoli rêve et dessine, enfermé dans un camp cerclé de barbelés. La faim tiraille les ventres. Les poux colonisent les cheveux. Les gendarmes, anti-communistes, pissent et crachent sur les espagnols qui croyaient avoir trouvé en France une terre d’asile. Le film d’animation d’Aurel, dessinateur comme le héros républicain dont il a choisi de retracer la vie mouvementée, ne fait pas l’impasse sur les conditions d’accueil désastreuses des premiers exilés du franquisme. Femmes et enfants séparés de leurs maris ou pères, absence d’eau courante, brimades en tout genre… La première partie du film se déroule au camp de Rivesaltes, près de Perpignan. Josep tente de maintenir vivace l’étincelle de vie qui lui permet de transcender la violence, le deuil et la séparation en gribouillant sur le sol et les murs des baraquements… jusqu’à ce qu’un jeune gendarme, un bleu, ne supportant plus d’être complice des sévices exercés par ses collègues sur les espagnols, lui offre un calepin.
Josep est l’histoire d’une amitié qui fait fi des différences sociales, culturelles ou politiques. Au contact du dessinateur, le gendarme se déride et finit par apprécier la juerga, les soirées bien arrosées et les mœurs légères des réfugiées. Malgré les tensions idéologiques entre anarchistes et communistes, les fêtes organisées au camp sont l’occasion de faire revivre le rêve de fraternité et de solidarité piétiné par Franco et ses soutiens : clergé et politiciens corrompus. Le récit est raconté sous la forme d’un long flash-back. Le narrateur n’est pas Josep mais Serge, un vieillard, ancien gendarme, qui vit ses derniers instants dans un lit médicalisé, et raconte à Valentin, son petit-fils gribouilleur désinvolte, les choix -courageux et moins courageux- d’une vie à jamais transformée par une rencontre.
Si l’art permet d’exorciser le traumatisme, l’agresseur prenant le visage d’un cochon ridicule, ce sont les petites marques d’amitié qui maintiennent Josep, mais aussi par ricochet, le gendarme néophyte, à flot. Une fois l’iniquité et l’absurdité administrative défiées, le destin des deux amis est scellé, il faudra prendre la tangente. Avec l’installation au Mexique, l’art de Josep amorcera un nouveau tournant et se parera de chaudes couleurs, à l’image des fresques de Frida Kahlo, l’amante de passage, faisant ainsi oublier la noirceur des débuts.
Josep Bartoli est relativement peu connu en France alors qu’il a bénéficié d’une certaine reconnaissance aux États-Unis. Celui qui fut le fondateur du syndicat des dessinateurs de presse de Catalogne s’installe à New York après son séjour au Mexique. Il côtoie alors Rothko, Charles Pollock, Kline et De Kooning et dessine dans la revue Holiday Magazine et dans le supplément reporter du Saturday Evening Post. Le film conçu par Aurel reprend les différentes techniques utilisées par Josep ce qui rythme et scande le récit en plusieurs époques tout en reflétant son cheminement artistique.
Traversé de fabuleuses séquences oniriques qui traduisent en images le pouvoir de l’artiste de résister en s’échappant de toute prison -physique ou mentale- Josep est un film salutaire en ces temps troublés et difficiles où l’indignation partagée peine pourtant à se traduire en actes de rébellion. Hommage d’un dessinateur contemporain, qui en plus de signer des albums personnels collabore au Canard Enchaîné et au Monde, Josep propose au spectateur une jolie réflexion sur l’engagement personnel politique, au sens noble du terme, au service des autres, à travers un passage de relais qui se double d’un légitime exercice de mémoire d’un exil (celui des Républicains espagnols) finalement peu évoqué au cinéma en France.
Josep d’Aurel – Bande Annonce Officielle from Les Films d’Ici Méditerranée on Vimeo.
30 septembre 2020 / 1h14min / Animation, Historique
De Aurel
Avec Sergi López, Gérard Hernandez, Bruno Solo
Nationalités : français, espagnol, belge
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