Rich Hill, d’Andrew Droz Palermo et Tracy Droz Tragos
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Plusieurs longs-métrages de la compétition du Champs-Élysées Festival traitaient de la famille et des problématiques éducatives aux États-Unis pour des films-témoignages sensibles mais assez inquiétants. 1982, par exemple, proposait au spectateur une plongée dans les affres de l’addiction au crack dans une famille afro-américaine. Pas vraiment de scènes chocs mais une peinture toute en délicatesse d’un père de famille -interprété par Hill Harper, vétéran de la petite lucarne sous les traits du médecin-légiste Sheldon Hawkes dans la série CSI: NY– qui essaie d’élever sa fille de 10 ans tout en assistant au naufrage de son épouse toxicomane. Dans Rich Hill, Grand Prix à Sundance, il est de nouveau question de familles dysfonctionnelles à travers le portrait de trois gamins de Rich Hill, petite ville rurale du Missouri.
Voyage au cœur de l’Amérique Profonde, celle des bicoques en bois, des soirées country et des silos à grains. La photographie est magnifique, captant la poésie des lieux malgré le climat oppressant. Les deux réalisateurs du documentaire sont originaires du Missouri et on imagine volontiers qu’ils partageaient, à l’adolescence, le désir d’évasion de leurs protagonistes. Être originaire du Middle West ou du Sud des États-Unis, c’est d’une certaine manière être, dès la naissance, condamné au mépris de la part de l’Amérique plus fortunée et cultivée, celle de la côte est ou des grandes métropoles de Californie. Les jeunes choisis par les réalisateurs sont emblématiques d’un segment bien particulier de la population nord-américaine : les white trash, littéralement, les déchets blancs.
C’est d’ailleurs sur l’affirmation « On n’est pas des déchets mais des gens bien » que s’ouvre le film. A 14 ans, Andrew est obligé d’enchaîner les petits boulots pour assurer l’avenir de sa fratrie. Les parents sont défaillants : la mère, gavée de médicaments, est pouponnée par ses enfants, le père, bercé d’illusions à propos de son avenir dans la country, refuse de travailler. Andrew, trop mature pour son âge, est véritablement un modèle de dignité et de courage face à l’adversité, tout le contraire d’un white trash, mais pour combien de temps ? Rich Hill, c’est le revers du rêve américain, une claque en pleine gueule pour tous les adeptes de la société néo-libérale. Travailler pour gagner plus, motto typiquement nord-américain, a finalement réussi à traverser l’Atlantique. Mais, le documentaire, sans peut-être complètement l’assumer, montre parfaitement le côté fallacieux de la success-story à l’américaine.
Si le ton du film reste résolument optimiste, les gamins filmés par Andrew Droz Palermo and Tracy Droz Tragos, semblent, en dépit de tous leurs efforts, inéluctablement aspirés dans une spirale d’échec. Les rites identitaires qui maintiennent vivace la croyance en une grande Nation – le défilé du 4 juillet, la foi religieuse sans cesse renouvelée – ne sont qu’une façade qui peine à masquer le délabrement des institutions publiques, éducatives et judiciaires. La séquence avec le proviseur est à ce titre chargée d’un humour féroce. Harley sait très bien qu’il parviendra à ses fins (à savoir sécher une nouvelle fois les cours sans se faire sanctionner) tellement les adultes ne sont plus en mesure d’assurer leur position d’autorité dans un monde traversé par une violence sociale explosive.
L’intérêt du documentaire est de tordre le cou aux étiquettes en captant les confidences. Le philosophe des sciences Ian Hacking a montré à travers le concept de « looping effect » comment certaines personnes finissent par adopter le comportement correspondant au label qui leur a été arbitrairement attribué. Rich Hill est l’illustration parfaite de de phénomène. Enfermés dans leur rôle de péquenauds blancs, les adolescents n’ont d’autre échappatoire que d’arborer un comportement de white trash. Appachey accumule les labels psy sans qu’on sache trop pourquoi : diagnostiqué hyperactif et bipolaire à même pas 12 ans, il défie volontairement sa mère devant la caméra, se livrant à plusieurs crises de violence. Quant à Harley, il surjoue son personnage de gangster depuis l’incarcération de sa mère, inculpée pour l’avoir défendu face à un beau-père abusif, resté lui, en liberté. Au fur et à mesure que le film avance, les images révèlent donc des ados pas si fous que ça, aspirant à une vie paisible. Appachey aimerait vivre en Chine pour apprendre la calligraphie chinoise et dessiner des dragons, sa mère le considère déjà comme un délinquant juvénile en puissance.
A travers le destin difficile de ses trois jeunes hommes, Rich Hill dessine en creux l’abdication des parents et surtout une profonde crise morale. Les maisons ont beau être crados, les protagonistes du film ne semblent manquer de rien au niveau matériel. Le père d’Andrew affirme qu’il consacre une grande partie de ses gains irréguliers à pourrir ses enfants de cadeaux, on le croit volontiers. Mais quid du dialogue entre parents et enfants ? Les liens sont rompus ou distendus, à tel point que l’échange empathique entre réalisateur et sujets, palpable à l’image, est certainement venu combler un vide. Si l’on devait adresser un reproche au documentaire, ce serait d’effleurer, à cause d’un traitement strictement naturaliste, trop de thématiques : la pauvreté, les erreurs judiciaires, la surmédicalisation des élèves dits difficiles, les établissements scolaires « poubelle », la fascination des jeunes pour la violence et les armes… Mais, alors que l’Americana (peinture de l’Amérique profonde) bénéficie d’un regain de faveur sur nos écrans (voir Joe avec Nicolas Cage ou Mud avec Matthew McConaughey), Rich Hill a le mérite de s’écarter de la fiction pour enfin donner la parole à des êtres plongés dans ce mode de vie au jour le jour.
Date de sortie : prochainement (1h33min)
Réalisé par : Andrew Droz Palermo, Tracy Droz Tragos
Genre : Documentaire, Biopic, Drame
Nationalité : Américain
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