Bombay Rose, Gitanjali Rao, 6 août 2020 en VOD

A Bombay, les destins croisés d’un vendeur de fleurs, d’une danseuse, d’une star âgée, d’un enfant sourd-muet et d’un grand-père réparateur d’horloges… Avec son premier long-métrage d’animation Bombay Rose, la talentueuse réalisatrice indienne Gitanjali Rao rend hommage à tous ceux qui meurent à petits feux de ne pas avoir réalisé leurs rêves… La violence sociale inhérente à cette grande cité où affluent les immigrants chassés de leurs provinces par la guerre et la pauvreté est palpable à travers la description du quotidien de Salim, le vendeur de fleurs qui tente d’échapper aux flashbacks du meurtre de ses parents, tués au Kashmir, en se réfugiant dans les salles obscures. La réalisatrice évoque aussi le sort tragique des enfants des rues, obligés de travailler pour survivre, et maltraités par la police qui préfère les arrêter à coup de matraque au lieu d’inculper leurs employeurs.

Pour survivre à cette ville injuste parsemée d’embûches, il reste le rêve. Shirley D’Souza, la vieille dame emblématique d’un Bombay révolu, celui de la fin des années 1950 et des films avec l’acteur Guru Dutt, ne se lasse pas d’écouter les disques qu’elle pose inlassablement sur son vieux gramophone. Sa maison, sise dans un vieux bungalow de Chuim village, quartier où s’élèvent encore quelques villas d’époque, est une sorte de capsule temporelle.

Dans ces scènes domestiques, le spectateur est transporté au cœur d’un univers coloré et chaleureux où se mêlent harmonieusement influences portugaises, hindi et anglaises au son des standards « Aaiye Meharbaan »  ou « Baar Baar Dekho » , extrait du film de 1962, China Town. Mais, même si la nostalgie édulcore les relations raciales entre communautés – à certains moments, le film semble être un hommage déguisé à l’héritage colonial– la réalisatrice tient à rester fidèle au fil directeur de Bombay Rose : la fleur qui passe de mains en mains est l’emblème d’ un amour impossible et malheureux.

La réalisatrice prend soin d’entretenir le suspense quant à l’identité du mystérieux amour de Madame Shirley; la relation entre la jeune hindoue Kamala et le musulman Salim, qui découvre avec effroi que l’objet de ses attentions travaille le soir dans un club de strip-tease, est également animée de multiples rebondissements. En parallèle d’une bande-son très réussie qui ravira tous les amateurs de films Bollywood passés et présents, l’animation est mise à contribution pour donner accès aux tourments des protagonistes comme cette magnifique séquence où l’on voit cheminer Madame D’Souza et la petite sœur de Kamala dans des rues qui se métamorphosent pour donner voir les édifices disparus du Bombay des années 1950, ou bien ses scènes nocturnes dans le cimetière des fantômes dansants, vues à travers les yeux de la rose rouge sur la musique de l’idole de Goa, Lorna Cordeiro.

Le film a mis plus de 6 ans à être concrétisé et sa singulière identité, réalisé par une réalisatrice indépendante, qui se place clairement du côté des victimes quand elle dénonce l’arrestation des danseuses et le pouvoir des proxénètes jamais inquiétés, offre une belle métaphore sur la face sombre de l’usine à rêve indienne. Les personnages de Salim et Kamala avaient été introduits au spectateur et à la critique pendant la réalisation du court-métrage TrueLoveStory, sélectionné et projeté à Cannes en 2014. Dans Bombay Rose, ils ont mûri et leur histoire d’amour, bien que très actuelle quand elle décrit le machisme et les violences contre les femmes, est traversée par la nostalgie d’époques révolues -celle de la présence portugaise, celle des petits artisans (avec le personnage du grand-père réparateur d’automates et de montres)- toutes caractérisées par une mosaïque de cultures dans un film où se côtoient les héritières des dernières tawaifs (courtisanes traditionnelles), les descendants de colons portugais et des immigrés musulmans qui rêvent de chevaux ailés… Un très beau film tout en douceur et poésie malgré la noirceur des thèmes abordés.

6 août 2020 en VOD / 1h 33min / Bollywood, Animation, Drame, Romance
De Gitanjali Rao
Avec Anurag Kashyap, Geetanjali Kulkarni, Makrand Deshpande
Nationalités indien, britannique, français, qatarien

 

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.