A la recherche de Vivian Maier, le 1ier juillet

Projeté en avant-première dans le cadre du Champs-Élysées Film Festival, A la recherche de Vivian Maier est l’histoire de deux destins incroyables, liés par delà la mort: celui d’une nounou photographe, complètement inconnue de son vivant, et celui de son découvreur, John Maloof, le réalisateur du documentaire.

Maloof est fils et petit-fils de brocanteurs. Il nous explique qu’il a toujours eu l’œil pour dénicher des objets intéressants, qui finissent par rapporter de l’argent. Et l’on peut sans hésiter affirmer que les clichés de Vivian Maier, achetés pour une bouchée de pain (350 dollars) à une vente aux enchères, furent une excellente acquisition ! Maloof était à la recherche de vieux négatifs noirs et blancs pour réaliser des tirages afin d’illustrer un livre, il était loin de s’imaginer que sa découverte allait révolutionner le monde de la photographie.

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Le documentaire entretient le mystère autour de la personnalité de Vivian Maier, auteur d’une centaine de milliers de clichés, jamais montrés avant sa mort. Prenant la forme d’une enquête qui se déroule sous les yeux du spectateur, le film reconstruit à posteriori un titanesque travail d’historien qui a conduit John Maloof jusqu’à un petit village montagnard français, Saint-Julien-en-Champsaur.

La découverte de Vivian est finalement le fruit d’une obsession. Émerveillé de la qualité des photos prises par sa mystérieuse inconnue, Maloof se met en tête de reconstituer le fond de l’artiste. Pour cela, il contacte toutes les personnes qui possède des négatifs de Maier et les rachète. Puis, il décide de retracer la trajectoire de sa muse. Et là surprise ! Il n’y a pas une mais plusieurs Vivian Maier.

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C’est d’abord une femme pragmatique qui décide de devenir nounou pour des raisons pratiques. Nourrie et logée, elle peut économiser de l’argent pour l’achat de matériel photographique et le développement des pellicules. Les sorties de plein air qu’elle effectue avec les enfants lui donnent l’occasion de pratiquer son art et de prendre d’autres clichés en extérieur. Réfléchie et mesurée, Vivian est aussi une passionnée qui n’hésite pas à démissionner après avoir suffisamment économisé pour s’offrir un tour du monde de 8 mois, délaissant ses sujets de prédilection, les passants fortunés et les pauvres des rues de Chicago, pour immortaliser des paysages du bout du monde. Le montage du documentaire fait ressortir le contraste entre l’existence bohème de Vivian, libre et sans aucune entrave, et la multitude de règles et normes étouffantes régissant le quotidien de ses employeurs, des femmes appartenant à la haute-bourgeoisie de la côte est.

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A la fin de sa vie, Vivian sera logée grâce à trois des garçons qu’elle avait gardés. Ils se cotisent pour lui trouver un appartement dont ils règlent cautions et loyers. Mère de substitution pour de nombreux enfants, Vivian n’enfantera jamais. Si elle a laissé un excellent souvenir aux familles qui l’ont côtoyée, Vivian demeure une inconnue, une femme élusive et mystérieuse. Ses employeurs ne s’accordent pas  sur son véritable patronyme, tantôt épelé Maier, tantôt Meyer. Les reçus de labo photos conservés montrent aussi qu’elle modifiait parfois son prénom, cachant sa véritable identité aux commerçants. Quid de son accent français ? Vrai ou faux ? Les avis des experts sont partagés, Maloof nous livre au passage un portrait hilarant d’un universitaire pédant et pompeux, complètement sourd à la véracité des faits, drapé dans son indignation et ses nombreuses publications sur la longueur des voyelles.

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Vivian Maier ne se contentait pas de photographier le monde, elle documentait aussi son époque à l’aide de textes écrits, de croquis et surtout d’enregistrements sonores. Auteur et artiste prolifique, elle laisse derrière elle des milliers de documents qui révèlent un regard sarcastique sur l’American Way Of Life et les soubresauts politiques des années 1960 et 1970 (les mouvements féministes, le Watergate…)

Maloof a pris soin de faire entendre la voix de l’artiste, étonnamment grave et posée, alors qu’elle était souvent décrite comme un être fantasque et espiègle. Une manière, peut-être pour le réalisateur, de se dédouaner des accusations de voyeurisme et de prédation dont il a été victime. Avait-il le droit d’exposer non seulement les clichés mais aussi, à travers l’œuvre, la vie, d’une photographe qui n’avait pas souhaité médiatiser son travail ? D’autant plus que le réalisateur met aussi en lumière la part d’ombre de Maier, qui nourrissait une fascination morbide pour les faits divers, en écho peut-être à un sombre secret de famille.

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Difficile de répondre à cette question, tant l’aspect mercatique de l’opération ne peut être occulté. Vivian Maier a assuré, malgré elle, l’existence du jeune John Maloof, unique ayant-droit et dépositaire de son œuvre. Cependant, au vu des nombreuses photos montrées dans le documentaire, il aurait semblé sacrilège de passer à côté d’une telle artiste. Maier, c’est Saul Leiter (pour les auto-portraits dans les miroirs), Helen Hervitt (pour les jumeaux et les freaks), Gary Winogrand (pour les clichés de rue)  réunis ! Joel Meyerowitz, longuement interviewé, apporte son crédit à cette œuvre protéiforme et monumentale.

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Au delà de l’aspect « découverte » du film, A la recherche de Vivian Maier, constitue aussi une excellente réflexion sur la recherche, au sens noble du terme, en reflétant l’engagement opiniâtre du réalisateur. Après avoir essuyé refus sur refus de la part des plus prestigieuses institutions du monde de l’art, John Maloof, littéralement consumé par sa découverte, a scanné des milliers de négatifs, parcouru des centaines de kilomètres et passé des nuits entières à retracer l’itinéraire de Vivian, engageant ainsi, avec elle, par delà la mort, un fécond dialogue artistique.

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Date de sortie 2 juillet 2014 (1h24min)
Réalisé par Charlie Siskel, John Maloof
Avec Vivian Maier, John Maloof, Mary Ellen Mark…
Genre : Documentaire
Nationalité : Américain

Distributeur : Happiness Distribution.

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