Expo photo Adolfo Kaminsky, MAHJ, jusqu’au 19 avril 2020
Ces derniers temps, il est de bon ton de s’indigner… et il est vrai que les raisons ne manquent pas : réchauffement climatique, extinction des espèces, accroissement des inégalités, réforme des retraites. Avec l’avènement d’une société 2.0, de nouvelles modalités d’expression de la contestation populaire ont vu le jour : vidéos et photos de manifestations, sit-in, happenings revendicatifs fleurissent sur le net et les réseaux sociaux, une manière aussi d’informer les masses et d’échapper au contrôle des grands groupes qui musèlent de nombreux organes de presse, aujourd’hui incapables de mener un véritable travail d’investigation. Le Musée d’art et d’histoire du judaisme nous invite, à travers l’exposition de clichés photographiques jusqu’alors inédits (car jamais exposés), à faire un pas de côté en suivant le parcours d’un homme de l’ombre, qui a fait de la clandestinité, du mensonge et de la dissimulation, des outils efficaces pour résister.
Adolfo Kaminsky, juif d’origine argentine, a aujourd’hui 94 ans. Il n’a plus la force de résister mais il s’est confié à sa fille Sarah qui, à partir de ces confidences, a écrit un très bel ouvrage paru aux éditions Calmann Lévy , puis à trois réalisatrices américaines qui l’ont filmé pour le documentaire The Forger. Sa parole – et ses clichés- sont précieux car il est l’un des derniers survivants de cette époque. Kaminsky n’a connu que brièvement les camps de concentration : interné à Drancy en 1943 avec sa famille, il put en sortir libre grâce à sa nationalité argentine, quelques jours avant que cet accord bilatéral ne soit révoqué par l’Allemagne nazie. Le destin rocambolesque de Kaminsky qui entre en résistance un peu par hasard – il est teinturier quand il rencontre un contact des forces libres qui l’embauche pour falsifier des passeports et autres documents d’identité– est indissociable de son identité juive et rappelle le parcours, semé de dangers, de renonciations et de fuites, du juif errant.
Kaminsky brave le sort, se joue de la mort qui rôde, échappe cent fois au malheur. Très tôt, il apprend au contact de ses parents avec qui il déménage en Turquie, en France à Paris puis en Normandie, que la fuite est parfois le seul moyen de survie. Kaminsky est un autodidacte. Contraint de travailler très jeune pour aider ses parents, il n’a pas eu la chance de faire des études mais il compense par une boulimie de savoirs. Il se passionne ainsi pour la chimie au contact de son maître teinturier, puis pour la photographie nocturne (recherché, il évite de sortir le jour) : il est le bricoleur génial de Claude Lévi Strauss, un amoureux du beau qui de ses mains habiles fait jaillir des objets magiques. Il aime photographier ces autres artisans aux mains calleuses : rémouleur, rempailleur, réparateurs en tout genre… Qu’il est magnifique son autoportrait réalisé à 19 ans, où l’on lit déjà dans les yeux de l’artiste-faussaire, à la fois un amour de la vie et une facétieuse envie de se jouer de tout.
Pourtant, sous le rire couve la douleur et si Kaminsky -comme tant d’autres survivants des camps, de la guerre civile espagnole, des génocides- épouvera toujours beaucoup de réticences à évoquer l’horreur, ses clichés sont peuplés d’hommes barbus, à l’image de ce vieux monsieur juif avec qui il s’était lié d’amitié et dont il honorera la mémoire en portant à son tour une longue barbe. Mais, la vie est plus forte que tout et si Kaminsky poursuit ses activités illégales pour aider pendant plusieurs décennies d’autres fuyards – indépendantistes algériens, révolutionnaires d’Amérique du Sud, représentants des mouvements de libération du Tiers-Monde, opposants aux dictatures de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, jeunes américains refusant de servir au Vietnam- il finit par fonder une famille et couler des jours heureux au Maghreb.
L’amour de la vie l’a emporté sur le désir de mort. Les photos d’oiseaux de nuit, de brocanteurs un peu louches et d’ouvriers fatigués sont remplacées par des clichés lumineux du désert algérien. Celui qui a offert une deuxième chance, un nouveau départ, à des milliers d’individus, hommes et femmes, jeunes et vieux -notamment de nombreux enfants juifs- a préféré rester dans l’ombre et cultiver son jardin secret. Dans la dernière salle, on peut voir The Forger, superbe documentaire qui mêle interviews et reconstitutions de scènes en théâtre d’ombres. Kaminsky y évoque son incompréhension face à cette veuve juive qui refusa les faux papiers apportés à son domicile parce que sa famille était installée en France depuis 8 générations. Le photographe s’interroge : à quoi bon vouloir continuer d’appartenir à une communauté d’hommes, à une terre, à y risquer sa vie, quand celles-ci ne sont plus dignes de vous ? Mieux vaut renaître ailleurs, loin des ténèbres, et choisir la vie, envers et contre tous…
Adolfo Kaminsky. Faussaire et photographe.
Musée d’Art et d’Histoire et du Judaïsme.
du jeudi 23 mai 2019 jusqu’au dimanche 19 avril 2020
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