Mr & Mrs Geek ont vu : Jojo Rabbit, de Taika Waititi, 29 janvier 2020

Mr Geek est un vieux con, tous ceux qui le connaissent le savent. Il déteste toujours les films à la mode estampillés feel-good movie. Pas étonnant donc que malgré l’enthousiasme de Mrs Geek, il descende Jojo Rabbit, le dernier film de Taika Waititi, le réalisateur de Thor : Ragnarok, chouchou actuel du tout Hollywood. Pour ou contre Jojo Rabbit ? Faites-vous votre idée ! Attention spoilers.

Mrs Geek : vu ta tronche, tu n’as pas aimé !

Mr Geek : non, ce film me gêne franchement, je trouve qu’il est construit autour d’un postulat malsain !

Mrs Geek : c’est une comédie complètement loufoque basée sur les hallucinations d’un gamin de 10 ans dont l’ami imaginaire est Hitler.

Mr Geek : Justement, faire d’Hitler un type rigolo, bondissant dans tous les sens, à qui on peut finalement tout excuser tellement il est ridicule est dangereux.

Mrs Geek : cela participe du style visuel de ce film pastiche. Jojo Rabbit me rappelle les oeuvres de Wes Anderson, qui traitent toujours de sujets graves à hauteur d’enfant, dans des décors aux tonalités acidulées. Que l’action se déroule dans une petite ville (presque un bourg) perdue au milieu de la campagne, oublieuse des ravages de la guerre, alors que celle-ci touche à sa fin et que la débâcle nazie est proche m’a semblé une excellente idée. Cela humanise les milliers d’habitants plongés dans l’absurde de la guerre, et qui étaient davantage victimes d’Hitler que complices.

Mr Geek : Que certains allemands aient appartenu à une cinquième colonne et aient mené des activités de résistance en cachant notamment des enfants juifs comme le fait la mère du jeune héros est tout à leur honneur… mais dans le film, même les agents de la Gestapo suscitent le rire alors que c’étaient des monstres !

Mrs Geek : oui, mais cela change des films à l’ancienne, comme La Grande Vadrouille, qui malgré toutes leurs qualités, étaient très manichéens, les allemands étaient représentés par leur char d’assaut, symbole d’une force contre laquelle il était vain de se battre… Dans Jojo Rabbit, le ridicule est une manière de rabattre le caquet à ce peuple aux aspirations prétendument supérieures, qui s’est peut-être cru au-delà de la morale et de la compassion alors qu’ils étaient dirigés par un cinglé.

Mr Geek : c’est un point de vue extrêmement dangereux. Si l’on fait d’Hitler (et des hauts responsables de la Gestapo des fous) alors, d’une certaine manière, on les déresponsabilise de tous crimes commis… et Hitler était un fin stratège, et l’extermination dans les camps, une entreprise savamment organisée…

Mrs Geek : mais c’est de l’ironie !

Mr Geek : oui, mais aujourd’hui, les publics ont de plus en plus de mal à saisir l’ironie. Ils comprennent tout au premier degré… et ne font preuve d’aucun recul historique, croyant à l’image comme preuve, vivant dans un présent immédiat éternel, comme tes élèves de Terminale qui maintiennent que le Thor de Thor : Ragnarok (parce qu’il est dans un film de la franchise Marvel) est un super héros américain et non une figure du panthéon mythique nordique. S’ils voient ce film, ils vont finir par croire qu’Hitler était au fond assez inoffensif…

Mrs Geek : Mais, le film adopte le point de vue d’un enfant. C’est une adaptation très libre d’un livre très glauque, Caging Skies de Christine Leunens, qui ne se terminait pas du tout pareil. Le héros était plus âgé et cachait la fin de la guerre à la jeune juive pour la maintenir enfermée et assouvir son pouvoir de domination amoureuse… Jojo Rabbit n’occulte pas l’horreur avec notamment cette scène magnifique et poignante où il découvre sa mère pendue par les nazis après avoir suivi un joli papillon qui folâtrait… C’est la capacité des enfants de tout absorber comme des éponges mais aussi de se construire une carapace ou un monde imaginaire pour supporter l’insoutenable et ça, le réalisateur l’a très bien rendu à l’écran.

Mr Geek : Parlons-en de cette scène, c’est du pathos à deux balles. Qu’apporte-t-elle, à part un torrent de larmes chez les spectatrices ? Qu’apporte-t-elle d’un point de vue cinématographique ?

Mrs Geek : eh bien, elle fait basculer le film dans le drame, nous étions jusqu’à présent dans un registre comique et là, c’est le drame absolu qui fait mûrir Johannes.

Mr Geek : justement, c’est une rupture qui montre que le film ne sait pas où il veut aller, qu’il oscille entre deux voire trois types de films… D’ailleurs, la bande-son avec la séquence d’ouverture qui compare la propagande à la séduction que pouvaient exercer les Beatles sur les foules rate le coche…

Mrs Geek : tu exagères, le film possède plein de points positifs, les acteurs -de Scarlett Johansson à Sam Rockwell en militaire gay ou Stephen Merchant en chef de la Gestapo, sont supers… Et l’alchimie entre les deux enfants est géniale, tout en rappelant, avec les scènes de caricatures de juifs (décrits comme des chauve-souris sanguinaires), d’autres histoires d’amitié entre enfants issus de l’état-major allemand et mômes juifs… comme le bouquin The Boy in the Striped Pyjamas de John Boyne que j’avais déniché chez un bouquiniste perdu au milieu des fjords dans un village peuplé de paysans scandinaves limite racistes…

Mr Geek : justement, le medium livre permet d’approfondir ce genre de relations alors que là… tout est caricatural, les personnages sont juste des ébauches de types d’êtres humains et la farce force encore les traits… A part la costumière, je ne vois pas vraiment de points positifs à ce film…

Mrs Geek : si, il montre qu’on peut rire de tout, même de l’Holocauste

Mr Geek : sauf qu’on ne peut pas et que l’on ne doit pas en rire…

29 janvier 2020 / 1h 48min / Guerre, Comédie, Drame
De Taika Waititi
Avec Roman Griffin Davis, Thomasin McKenzie, Scarlett Johansson
Nationalité américain

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