Yours in sisterhood, Irene Lusztig
En cette veille de journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes, on ne pouvait faire l’impasse sur l’ingénieux documentaire Yours in Sisterhood. Projeté dans le cadre du festival Chéries-Chéris, ce film d’Irene Lusztig est à la fois performatif et informatif. A partir d’une caisse d’archives contenant des centaines de lettres non publiées et publiées adressées dans les années 1970 au magazine Ms, la réalisatrice dresse le portrait d’une génération de femmes en lutte pour obtenir de nouveaux droits et s’émanciper de la tutelle masculine. Irene Lusztig a choisi un dispositif simple qui se révèle extrêmement complexe : elle filme en plan fixe des femmes d’aujourd’hui, de tout âge, lisant un extrait d’une lettre.
Ce dispositif miroir permet bien sûr de dresser un parallèle entre les difficultés d’hier et celles d’aujourd’hui et offre la possibilité aux descendantes de ces pionnières de poser un regard critique sur les luttes de leurs prédécessrices. La caméra traque le moindre haussement de sourcil, le moindre soupir et ce que l’on n’ose pas forcément dire transparaît immédiatement à l’écran. Que reste-t-il de l’héritage des luttes passées ? Les femmes d’aujourd’hui qui utilisent majoritairement la contraception, bénéficient de leur propre compte en banque et n’hésitent pas à divorcer quand cela s’avère nécessaire, peuvent-elles comprendre leurs aïeules ?
Le dialogue instauré à travers cette lecture de lettres montre que malheureusement les propos écrits par les femmes des années 1970 sont toujours d’actualité, notamment en ce qui concerne l’un des gros points noirs du féminisme d’hier et d’aujourd’hui : l’intersectionnalité ou la nécessité de faire converger les luttes à la fois économiques et genrées. Comment une femme éduquée de la côte Est issue d’une classe aisée peut-elle parler au nom d’une femme ouvrière noire ? La lecture et les commentaires des femmes filmées aujourd’hui mettent ainsi en évidence les difficultés rencontrées par les rédactrices généralement blanches et très éduquées du magazine à s’adresser aux membres des minorités ethniques sans sombrer dans la caricature.
Le dispositif qui voyage d’une ville à l’autre des Etats-Unis dresse aussi une cartographie géo–économique du pays : on n’a forcément pas les mêmes revendications quand on est une femme blanche d’un patelin concentrant de nombreuses usines que lorsqu’on étudie à New York. Si les revendications sont différentes, les aspirations aussi, mais au final, les combats restent identiques. Ces femmes veulent vivre leur vie comme bon leur semble, sans se soucier du regard d’autrui.
Au delà d’une généralisation forcément réductrice, la lecture de ces lettres -et c’est là l’immense qualité de ce documentaire- nous fait découvrir des destins éminemment singuliers, comme cette femme qui choisit de construire une cabane en rondins au fin fond d’un état rural et de vivre seule au milieu des bois… ou comme cette autre femme née dans une ville industrielle, blue-collar, qui veut devenir écrivaine sans avoir aucune entrée dans le milieu littéraire… ou cette autre qui rêve d’être embauchée dans les forces de police mais qui, malgré l’obtention de son diplôme, n’est jamais prise…
Plafond de verre, sexisme, violence domestique… comme autrefois, les femmes sont confrontées aux mêmes injustices et traitements dégradants. L’originalité du documentaire est aussi de présenter des lettres qui montrent que les femmes, entre elles, ne sont pas avares de commentaires humiliants et discriminatoires. Ces missives plaident pour une plus grande sororité et solidarité féminine. Qu’une femme qui souhaite porter des hauts talons ne soient pas la cible de moqueries de collègues femmes, qu’une femme qui choisisse de privilégier sa carrière ne soit pas considérée indigne ou égoïste, et aussi qu’une femme qui privilégie sa vie familiale ne soit pas qualifiée d’inférieure par des consoeurs plus carriéristes. En un mot, ce film plaide pour une plus grande liberté de choix pour toutes, que chacun et chacune s’accepte et accepte l’autre tel-le qu’il-elle est.
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