Vivre et chanter, de Johnny Ma, 20 novembre
Zhao Li, directrice d’une troupe d’opéra traditionnel dans la région de Sichuan en Chine, est une mère courage à plus d’un titre. Ancienne égérie des planches, elle veille maintenant à la santé financière et morale de ses acteurs et musiciens. Alors que les autorités construisent à tout va, son théâtre est sous la menace d’un arrêté d’expulsion. La caméra virtuose de Johnny Ma suit cette femme décidée à sauver ce qui est plus qu’un gagne-pain, tout un art de vivre, sur une dizaine de jours (le délai administratif officiel) marqués par d’ultimes représentations émouvantes.
Les thèmes de l’opéra traditionnel comme symbole d’une Chine surannée vouée à disparaître sous l’ère capitaliste ou des expropriations liées au développement urbain et à l’exode rural ont déjà été traités dans de nombreux films chinois mais Johnny Ma choisit un angle de vue inédit : en filmant les sentiments contradictoires des artistes vis à vis de leur protectrice (certains lui reprochent son purisme et voudraient qu’elle modernise les représentations), il montre le pouvoir de séduction exercé par le modèle capitaliste sur des hommes et femmes vieillissants ou jeunes qui aimeraient profiter de nouveaux logements et produits derniers cri.
Les scènes de groupe d’intérieur, lors des temps hors spectacles, font partager l’intimité d’une troupe au spectateur : des moments de complicité, mais aussi de disputes. Comment appréhende-t-on l’espace quand on mange, dort et travaille au même endroit ? Que faire de l’héritage artistique aimé mais par moments jugé franchement encombrant ? Si Vivre et chanter est si réussi, ce n’est pas tant pour ses magnifiques chorégraphies dont les couleurs éclatantes contrastent avec la grisaille urbaine. Ni pour ses incursions dans le fantastique avec ce personnage – bon ou mauvais génie du théâtre ? – qui à chacune de ses apparitions mène Zhao Li dans des lieux qu’elle déteste (le restaurant à fondue, le night-club) mais qui lui révèlent une part cachée de sa troupe finalement tentée par les mirages de l’argent facile.
Non, le film fonctionne car il parvient à nous faire croire à l’existence de cette famille de théâtreux qui vit ses derniers jours sous nos yeux impuissants. Lien entre le passé merveilleux et mythique et le présent réaliste, la troupe est à l’image de ses spectateurs en fauteuils roulants ou déambulateurs, en voie d’extinction. Le ballet onirique des pelleteuses filmées au ralenti, avec des objets qui jouent au funambule, dans des positions improbables, atténue la violence de la destruction finale qui ne sera montrée qu’à travers les cauchemars de Zhao. Elle livrera un ultime combat sur scène, grimée en Daoma Dan, où elle devra donner la mort à ceux qu’elle aime (et qui l’ont trahie) pour accepter de les laisser renaître, ailleurs. Malgré la tristesse des adieux, Johnny Ma reste un inconditionnel du The show must go on et offre au spectateur une danse finale enchanteresse : les fantômes du passé revêtus de leurs plus beaux vêtements de scène virevoltent au milieu des décombres, une manière de dire qu’à travers le souvenir, le rêve perdure.
Date de sortie : 20 novembre 2019 (1h39min)
De Johnny Ma
Avec Gan Guidan, Yan Xihu, Zhao Xiaoli…
Genre : Drame
Nationalités : chinois, français
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