Les hirondelles de Kaboul, Zabou Breitman, Eléa Gobbé-Mévellec, en salles

Fallait-il adapter au cinéma le magnifique roman de Yasmina Khadra, Les Hirondelles de Kaboul ? Yasmina Khadra, comme son nom de plume ne le laisse pas supposer, est un auteur… un homme qui a choisi un nom de femme -son épouse- pour échapper à la censure et au règne de la terreur. Que ce soit dans Les hirondelles de Kaboul ou dans son autre ouvrage L’attentat, il est toujours question de couples, et surtout de cet indéfectible amour conjugal qui perdure entre certains êtres, malgré l’incompréhension, la violence ou la peur qui naissent de situations imposées, dans des pays où l’égalité entre hommes et femmes est bafouée.

Le trait délicat des dessins d’Eléa Gobbé-Mévellec (qui avait auparavant travaillé sur Ernest et Célestine, là encore une douce histoire de complicité entre deux êtres que tout sépare) atténue la dureté des scènes représentées. Dans un Kaboul presque entièrement détruit où les enfants s’amusent à jeter des pierres sur les chiens errants après avoir assisté à des lapidations, plusieurs personnages tentent de survivre en se raccrochant aux souvenirs d’avant les talibans. Zunaira et Mohsen sont deux intellectuels, ils ont tout perdu avec la destruction de l’université. Arash Bayazid est un professeur : il fouille les décombres afin de récupérer des livres destinés à l’institut libre qu’il dissimule à ses nouveaux employeurs de l’école coranique. Le vieillard Nazish, autrefois leader religieux respecté, cache ses disques sous une bâche mais rêve de quitter la ville pour enfin écouter de la musique en liberté. Quant à Atik, ancien moudjahidine catapulté gardien de prison pour femmes sous les talibans, il se refuse à répudier son épouse, Mussarat, pourtant gravement malade.

Si l’on regrette le manichéisme et l’absence de finesse dans la contextualisation historique (tous les moudjahidines afghans sont-ils devenus des talibans ? les habitants ont-ils juste tourné leurs vestes par appât du gain et désir de pouvoir comme l’affirme un personnage ?), le film saisit avec une infinie délicatesse le trouble qui étreint Atiq (doublé par Simon Abkarian, magistral), le gardien tombé amoureux d’une de ses prisonnières. Zunaira, la femme libre qui porte des chaussures blanches interdites, Zunaira qui danse sur du rock fenêtres ouvertes, n’est pourtant pas l’héroïne de l’histoire.

Si tous les regards convergent bien vers elle, c’est Tariq qui est l’âme de ce drame presque antique. Tariq, le boiteux, affublé d’une femme malade, ce qui diminue un peu plus sa masculinité aux yeux des mâles dominants qui lui donnent des ordres. Tariq, l’homme plein de gratitude et de loyauté (envers son épouse infirmière qui le soigna, envers son vieil ami le fou aux cheveux argentés), qui trouve répugnant de fréquenter les maisons closes.

Et même si la fin accentue un peu plus la condamnation du régime (dont la sauvagerie et l’iniquité, évidentes aux yeux du spectateur, ne méritaient peut-être pas d’être de nouveau surlignées), c’est bien le tumulte intérieur de Tariq, renaissant à la vie et en même temps signant son arrêt de mort, qui propulse le film au-delà du discours attendu des productions cinématographiques « engagées ». Les hirondelles de Kaboul ne se contente pas de dénoncer un régime liberticide qui a déjà été moralement condamné pour ses crimes; cette adaptation d’un best-seller donne à voir les tourments d’un homme qui tente de rester fidèle à lui-même, à son propre code de valeurs, dans un monde où être soi est interdit. Que ce soit à travers les yeux d’une femme qu’il se révèle à lui-même et puise en son for intérieur des ressources inespérées est tout aussi révolutionnaire qu’intemporel et universel. Et c’est là la véritable force de ce film à l’animation travaillée.

Date de sortie : 4 septembre 2019 (1h 21min)
De Zabou Breitman, Eléa Gobbé-Mévellec
Avec Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud…
Genre : Animation
Nationalité : français

 

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