Le daim, Quentin Dupieux, 19 juin 2019

Avec Le daim, thriller absurde qui se déroule au beau milieu des montagnes pyrénéennes, Quentin Dupieux signe son grand western. Revenu en France tourner ses films au look minimaliste, le réalisateur aux multiples visages (il est aussi Mr Oizo) signe une histoire d’emprise portée par un Jean Dujardin dans la peau d’un loser ridicule (il en était déjà un dans I feel good le film du duo Kervern-Delépine) qui finit possédé par son blouson en daim.

Georges a été plaqué par sa nana. Par la même occasion, elle a clôturé leur compte commun. Ça tombe mal : Georges, parti en voyage on ne sait où, est à sec. Normal, il vient de faire l’acquisition d’un blouson en daim vintage qui lui a coûté une somme astronomique. L’ancien propriétaire (l’inénarrable Albert Delpy qu’on retrouve en début de film avec grand plaisir ) est sympa. Pour ce prix, il offre à Georges un caméscope numérique qui, lui aussi, ne date pas de la dernière génération. Avec ce look « de malade », George s’invente une nouvelle vie : il est réalisateur de film. Mythomane, Georges ment à l’hôtelier, à sa banque, aux habitants du patelin où il a trouvé refuge, à la jeune serveuse qui aspire à devenir monteuse. Et quand on ne le regarde pas, entre les murs de sa chambre aux papiers peints très années 1980, Georges s’adonne à des dialogues de plus en plus inquiétants avec son nouvel accessoire 100% daim : celui-ci aimerait bien être le seul blouson sur terre.

Métaphore satirique sur l’animal totémique qui offre un nouveau chemin de vie aux paumés en tout genre -une petite musique amérindienne jouée à la flûte vient souligner certaines épiphanies – ou égo-trip flippant autour du motif du double – Jean Dujardin est constamment filmé se regardant dans un miroir, auscultant son reflet à l’écran de sa caméra – Le daim est un film déconcertant. Admirablement construit, aucun détail n’est laissé au hasard comme s’il fallait disséquer les obsessions envahissantes de Georges au prisme d’objets insignifiants. « Le diable est dans le détails » a-t-on coutume de dire… mais ces éléments d’inquiétante étrangeté (le gamin stalker muet, le chapeau en daim du premier mort…) ne feront pas voler en éclats l’énorme mensonge qui nourrit la fuite en avant de Georges. Pire, ils vont l’alimenter, jusqu’à entraîner cet homme-daim qui se rêve chasseur dans une spirale meurtrière. Et la photo même du film, qui vire à la couleur daim, témoigne de cet envahissement à la fois du récit, des décors et des personnages, par les signes de folie.

Georges aimerait bien maîtriser sa vie, être toujours à l’initiative des événements, être au contrôle, à la fois comme producteur et acteur de son existence. A la fille facile du bled qui s’offre à lui, il se refuse, outré (elle n’a vu en lui qu’un réalisateur de pornos). Avec la serveuse-monteuse, il hésite à nouer quelque relation, mais fauché et étranger aux règles techniques du cinéma, il a besoin d’elle, à la fois comme productrice et monteuse. Avec ce slasher made in France, Dupieux signe l’un des films les plus mélancoliques sur la magie du cinéma. C’est quand sa création lui échappe que Georges -alter-ego du réalisateur ?- finit par tourner un film qui prend sens, qui existe de lui-même… Avec ce rôle pas facile à endosser, Jean Dujardin prouve qu’il est capable de se couler dans la peau de n’importe quel malade -même le plus improbable- et nous faire croire à la folie du personnage.

Date de sortie : 19 juin 2019 (1h17min)
De Quentin Dupieux
Avec Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy…
Genre : Comédie
Nationalités : français, belge

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