Buñuel après l’âge d’or, de Salvador Simó, 19 juin

Buñuel, après l’âge d’or ne pouvait être qu’un film surréaliste pour rendre hommage au génie créatif d’un homme à la fois inspiré et tourmenté par une enfance emprunte de religiosité et de violence baroque dans une Espagne sur le point de succomber au charme vénéneux du Franquisme. Le réalisateur a choisi de traiter une période charnière dans la maturation artistique de celui qui n’était alors reconnu que pour sa collaboration avec Salvador Dali.

Buñuel, après l’âge d’or est le récit d’un affranchissement des origines – bourgeoises, aisées, religieuses- pour partir à la découverte de son propre style et de sa vérité intérieure. Il faut à l’artiste une période creuse, un épisode de vie douloureux durant lequel il fait l’expérience du rejet et du doute pour se lancer dans une aventure collective et personnelle qui sera décisive dans sa transformation personnelle et artistique. Librement basé sur la biographie de Luis Buñuel, elle-même romancée dans la bandedessinée Buñuel dans le labyrinthe des tortues de Fermín Solís parue en 2011, le premier film du réalisateur Salvador Simó narre l’enfantement –avec les douleurs qui l’accompagnent- d’un homme qui ose regarder pour la première fois en face son passé de petit garçon bien élevé, autrefois tyrannisé par un père à la fois craint et admiré.

Visuellement inventif, le long-métrage de Salvador Simó, qui a reçu une mention spéciale à l’édition 2019 du festival d’Annecy, intègre des images du film Terre sans pain à la trame générale… car Buñuel, après l’âge d’or est construit sur une formidable mise en abyme… rendue encore plus formidable lors de l’avant-première parisienne qui s’est tenue au Studio 28, mythique salle de cinéma qui en projetant L’âge d’or de Buñuel en 1930, avait fait les frais de la colère des spectateurs, tellement choqués par les images du duo Buñuel-Dali qu’ils détruisirent, de rage, l’écran de cinéma …

Le film de Salvador Simó débute donc dans la salle du cinéma Studio 28. Buñuel s’éclipse discrètement après une projection qui fait scandale. Dans la rue, il est félicité par un couple, qui à son grand désespoir, ne lui parle que de Dali et par un jeune photographe et documentariste, Eli Lotar qui lui remet le synopsis d’un projet qu’il aimerait bien mener à bout. Les pages finissent au fond d’un tiroir jusqu’à l’amère prise de conscience qu’à part ce projet, Buñuel, black-listé, abandonné par ses producteurs et collaborateurs réguliers, ne pourra plus rien tourner. Soit. Après un passage par Cadaques où Buñuel trouve porte close (l’épisode où Dali millionnaire refusa de prêter de l’argent à Luis s’est déroulé plusieurs décennies plus tard à New York au Waldorf Astoria), le réalisateur retourne en Aragon auprès de ses véritables amis d’enfance. Car Buñuel, après l’âge d’or est aussi une belle histoire d’amitié, entre Luis Buñuel, qui passera à la postérité, et l’anarchiste Ramon Acin, devenu producteur de Terre sans Pain, fusillé, et dont le nom fut retiré des crédits du film par l’administration franquiste.

Le film explore la dynamique de travail entre les deux hommes. Comme tout bon producteur, Ramon Acin facilite les choses à Luis, en gagnant la confiance des villageois des Hurdes, un réseau de villages de l’Estrémadure, considéré l’endroit le plus pauvre d’Europe à l’époque. Mais Ramon n’est pas qu’un facilitateur de tournage, c’est aussi le garde-fou de Luis, en proie à de terribles cauchemars et visions diurnes où lui apparaissent à la fois son Père, Dali, la mort déguisée en vagabond local et plusieurs souvenirs douloureux du passé. Le film montre comment le cinéma de Buñuel, et en particulier Terre sans Pain, truffé de symboles religieux, caractérisé par un certain goût de la violence et du masochisme, se nourrit de ses expériences enfantines, notamment lorsque son père l’obligea à assister au dépècement de la dépouille d’un âne par des vautours.

La fonction pédagogique de Buñuel, après l’âge d’or est manifeste dans les inserts d’extraits de Terre sans Pain. Pour ceux qui n’auraient jamais visionné ce documentaire mythique, le film animé intègre les plus célèbres séquences : la rencontre avec les enfants dégénérés, aux corps et visages déformés, la chute d’une falaise de l’âne, le rituel avec les têtes de poulets arrachées, l’âne succombant aux piqûres d’abeilles… Le film d’animation montre comment Buñuel s’est accommodé de la réalité, l’a transcendée et transformée pour y faire résonner ses propres angoisses et intuitions personnelles au sujet de l’Espagne.

Buñuel, après l’âge d’or explore aussi les relations toujours compliquées entre documentariste et sujets filmés qui en fonction des choix de réalisation peuvent s’estimer exploités par les équipes de tournage. Pour Terre sans Pain, qui est / était au service de qui ? Buñuel agissait-il uniquement par grandeur d’âme afin d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur les conditions de vie désastreuses de ces oubliés de la modernité, prisonniers d’un espace et temps révolus ? Ou bien profitait-il de leur misère photogénique pour tirer de sa présence au milieu des Hurdes des images saisissantes ? Certainement un peu des deux, Terre sans pain est d’ailleurs un documentaire à la fois encensé par la critique internationale et honni par les principaux intéressés, les descendants des villageois filmés dans les années 1930, qui qualifient aujourd’hui ce film de docu-menteur. Mais quel est l’objectif du documentaire : refléter de manière la plus fidèle la réalité ou exprimer le point de vue et le style de son auteur ?

Avec Terre sans Pain, Buñuel se libère des dernières scories du surréalisme qui peuplait son imaginaire pour explorer ses propres images mentales et artistiques. Buñuel, après l’âge d’or n’a heureusement pas la prétention de proposer une réponse définitive aux questions soulevées plus haut mais il offre au spectateur un voyage passionnant au plus près d’un peuple, los Hurdanos, et d’un artiste, Buñuel, confronté à d’innombrables étrangetés qu’il filme en miroir des siennes pour faire œuvre d’art.

Date de sortie : 19 juin 2019 (1h 20min)
De Salvador Simó
Avec Jorge Usón, Fernando Ramos, Luis Enrique de Tomás…
Genre : Animation
Nationalité : espagnol

 

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