Les Sarajéviens, 11 juin, Damien Fritsch.

Plus de vingt ans après le siège de Sarajevo, Damien Fritsch a voulu donner la parole aux Sarajéviens, oubliés de l’histoire et des médias. Que sont-ils devenus ? Quelles stratégies ont-ils mis en place pour affronter le deuil, et les conséquences sociales de la guerre : chômage, tensions raciales… ?

Le réalisateur a voulu donner la parole à un maximum de témoins afin de refléter la diversité ethnique de la population mais surtout la richesse des expériences. On n’entretient pas la même relation au passé, on ne possède pas les mêmes souvenirs de la guerre qu’on soit Bosniaque, Serbe, de confession juive ou musulman pratiquant…

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Le documentaire laisse la parole aux survivants, souvent filmés en plans fixes, rapprochés. Tel père explique comment il a été contraint d’affronter le passé pour répondre aux questions de sa petite fille de 6 ans, née après les événements, étonnée de voir autant d’immeubles en ruine. Pas de questions directes de la part du réalisateur, aucune audible à l’écran à part celle, simple mais déroutante, sur le bonheur. C’est quoi le bonheur pour une Sarajévienne dont les enfants sont exilés aux quatre coins du monde ? Eh bien, c’est déjà, le soulagement et la joie de n’avoir perdu aucun être cher dans cette guerre stupide. L’absurdité du conflit est souvent suggérée à l’écran : le visage d’une jeune étudiante, titulaire d’un doctorat en sciences politiques, mais obligée de travailler à l’usine, s’assombrit, tandis qu’un vieil intellectuel juif s’efforce de réprimer un sourire ironique.

Plus qu’ailleurs, la guerre à Sarajevo semblait complètement injustifiée et pourtant si compréhensible. La ville, au carrefour des Balkans, a depuis des siècles abrité de nombreuses communautés aux origines et croyances religieuses différentes. A tel point que la plupart des habitants de la ville possédaient des identités multiples avec des ancêtres à la fois juifs, chrétiens et musulmans, slaves et européens… Cette véritable macédoine fut un ferment incroyable pour la culture mais n’empêcha malheureusement pas les crispations identitaires, comme en témoigne l’une des blagues racistes rapportées à l’écran. Un enfant, fils d’une femme juive et d’un père slave, se demandait quelle réaction adopter face au nouveau vélo de son voisin : devait-il négocier et arnaquer le propriétaire ou lui arracher l’engin ?

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Si de nombreux témoins plaisantent avec le passé et les conséquences du multiculturalisme, la peur est parfois palpable : l’un des interviewés, un Serbe qui transporta de nombreux blessés de toutes origines dans sa voiture, s’auto-justifie presque, comme s’il craignait encore d’être pris pour le méchant de service.

Le film oscille entre deux mouvements contradictoires : ascendant, et symbole d’espoir, avec les milliers de mains qui s’élèvent dans les nombreuses commémorations religieuses, et descendant, comme l’obscurité qui s’abat sur une ville qui semble plus que jamais, à la nuit tombée, un sanctuaire pour les morts. La guerre a laissé ses stigmates : des mémoriaux et autant de flammes en hommage aux disparus balisent le voyage mémoriel. Partagés entre pesanteur et soif de légèreté, les Sarajéviens, hostiles à l’Union Européenne (comme ce Bosniaque particulièrement critique) ou désireux de s’émanciper du passé et des traditions, se retrouvent à un carrefour existentiel.

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Date de sortie : 11 juin 2014 (1h45min)
Réalisé par Damien Fritsch
Genre : Documentaire
Nationalité Français

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