On ment toujours à ceux qu’on aime, Sandrine Dumas, 6 mars

« Good girls go to heaven, bad girls go everywhere » lance Jewel à sa grand-mère américaine en guise d’au-revoir. Et Jewel, plus vraiment jeune, mais pas encore vieille, en a vu du pays depuis sa naissance au Canada. Élevée aux USA, dans les montagnes verdoyantes du Vermont, partie ensuite se frotter à la scène musicale de Montréal, elle a échoué à Paris, dans le quartier de Ménilmontant où elle officie comme serveuse. Envolés les rêves de gloire, Jewel vivote entre son appartement trop petit et le bar musical où se produisent de jeunes chanteuses ou groupes moins talentueux qu’elle. La réalisatrice Sandrine Dumas n’éclaircira pas les causes du mal-être, davantage spleen nonchalant que réelle douleur, de Jewel. On comprend qu’elle avait, un moment, toutes les cartes en main pour réaliser ses rêves… Ce moment est passé et Jewel est devenue spectatrice de sa propre vie.

Arrested development est le titre d’une série humoristique avec Portia de Rossi, Jason Bateman et Will Arnett, mais cela pourrait bien être le sous-titre de ce film rock où l’on ne cesse de parler anglais avec des accents américains, français et canadiens. Le développement émotionnel, professionnel, familial, bref humain, de Jewel semble s’être stoppé net. Malgré un amour tout feu tout flamme avec Paul, auteur doux et compréhensif, elle n’a pas fondé de famille. En dépit d’un producteur convaincu de son génie sur scène, elle n’a pas honoré son contrat. Habillé avec des vêtements trop petits qui révèlent ses formes généreuses mais soulignent aussi son âge, Jewel cultive le look d’une éternelle adolescente mais cache ses cernes de femme mûre sous d’épais verres teintés.

Serrée dans son jean, sa brassière ou ses bottes léopard, Jewel est habitée de gestes nerveux, de tics, de déhanchements incontrôlés. La présence très physique et presque burlesque de l’actrice Monia Chokri donne du crédit à ce rôle de femme sous pression, à la dérive. La réalisatrice, Sandrine Dumas, adore son héroïne. Si les seconds rôles, la grand-mère (malicieuse Fionnula Flanagan), la mère de Paul (impeccable Marthe Keller en mère indigne bourgeoise) ou Paul lui-même (mélancolique Jérémy Elkaïm) sont particulièrement soignés, la caméra est clairement amoureuse de Jewel, la filmant lors de longs plans séquence dans la voiture, au beau milieu de la nuit près d’une rivière pyrénéenne ou dans un café internet.

Divisé en deux parties (la première à Paris, l’autre sur la route), le film cultive des allures de vaudeville familial qui prend heureusement le large en s’offrant une virée en pleine nature, la grand-mère de Jewel souhaitant connaître le village français où elle est née avant d’émigrer, bébé, pour les USA. Les mensonges répétés dans les huis-clos parisiens s’effritent, l’amour que ce groupe disparate cultive pour chacun de ses membres peut enfin se déployer. Le film de Sandrine Dumas est un bel objet cinématographique avec des lumières qui mettent en valeur le jeu subtil des acteurs, une bande-son qui colle à merveille à la peau de Jewel et Paul et des moments de grâce comme cette admirable rencontre dans un kébab (eh oui, tout est possible !) avec un propriétaire (Alex Descas, magnétique) coupé lui aussi de son passé. C’est un film choral sur la transmission, les mères absentes, avec une situation de départ un peu prétexte à exprimer des choses graves sur un ton léger, mais malgré l’apparente faiblesse scénaristique initiale, cela reste un beau sujet de fiction -quel mensonge ne l’est pas ?- servi par d’excellents interprètes.

Date de sortie : 6 mars 2019 (1h 30min)
De Sandrine Dumas
Avec Monia Chokri, Jérémie Elkaïm, Marthe Keller, Fionnula Flanagan
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : français

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