Wardi, Mats Grorud, 27 février

Mats Grorud, le réalisateur norvégien du long-métrage Wardi (The Tower) sélectionné cette année au festival d’animation d’Annecy, a eu une enfance peu conventionnelle. Sa mère était infirmière dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Dans les années 1990, il décide à son tour d’y travailler  comme enseignant d’anglais et de cinéma animé. C’est auprès des réfugiés qu’il recueille les histoires personnelles et singulières qui l’inspireront pour l’intrigue de Wardi. Au centre du récit, la tour que gravit Wardi, la petite fille de 11 ans qui donne son nom au film.

A chaque étage est installée une génération de réfugiés. 78 ans après l’annexion des premières terres palestiniennes par les colons israéliens en 1948, les familles installées au Liban conservent leur statut de réfugié politique, sans espoir de retourner sur la terre de leurs ancêtres et surtout sans réelle possibilité de s’intégrer et de trouver un emploi dans leur pays d’accueil, le gouvernement refusant de leur accorder la nationalité libanaise. Arrières grands-parents, grands-parents, parents, oncles et tantes, petits enfants, nièces et neveux, tous coexistent dans le même lieu. A chaque nouvelle génération, on ajoute un étage, le camp ne pouvant s’étendre territorialement. Mais cette montée vers le ciel, comme le dit l’un des voisins de Wardi, « ne rapproche pas de Dieu » mais suscite un sentiment d’étouffement, d’écrasement sous le poids d’une Histoire injuste et ubuesque.

Dans ses tours de Babel, où l’on parle plusieurs dialectes arabes, où l’on s’occidentalise aussi au contact d’expatriés que l’on aimerait bien épouser pour quitter ce camp de nulle part, chaque habitant, petit et grand, possède une vision différente du passé. C’est pour mieux comprendre son présent, et surtout pour venir en aide à son arrière grand-père Sidi qui a perdu espoir et se laisse mourir, que Wardi entreprend de recueillir les histoires personnelles des membres de sa famille élargie, répartis à chaque étage.

Elle y rencontre une tata qui danse et fume, un oncle qui préfère la fréquentation des pigeons aux êtres humains, des grands-parents mélomanes encore fous amoureux l’un de l’autre… L’objectif du réalisateur était d’offrir la possibilité de comprendre les multiples facettes des conséquences du conflit israélo-palestinien en contrastant les souvenirs des plus âgés comme Sidi (proches de la mort) et celles des trentenaires ou des enfants qui n’ont pas vraiment connu la lutte armée. L’animation des marionnettes en stop motion (réalisée par le studio français Foliascope) a principalement été utilisée pour les séquences qui se déroulent dans le présent de la jeune héroïne tandis que la 2D a servi aux flashbacks qui illustrent les expériences passées des protagonistes.

La clef remise par Sidi à Wardi au début du film symbolise l’héritage de la petite fille, elle est aussi synonyme d’un espoir (celui de retourner vivre en Galilée) qui s’effiloche de jour en jour.  Face à l’oubli (de la part des media, de la communauté internationale) et la culpabilité (celle de n’avoir plus la force de combattre), chacun réagit comme il peut, Pigeon Boy (Slimane Dazi) s’enferme dans un mutisme inquiétant, Tante Hannan (doublée par Aïssa Maïga) danse et ressasse les souvenirs heureux. Malgré la tristesse des uns et des autres, Wardi est un film terriblement optimiste et joyeux, rythmé par de magnifiques envolées lyriques et poétiques. Face à l’absurde, il reste la joie d’être ensemble, pas dans un collectif familial qui écrase les individualités, mais dans un voisinage où chacun respecte la liberté et les choix de chacun.

Jamais simpliste ou dichotomique, la prise de position du réalisateur n’en est pas moins engagée : avec ses petites marionnettes, en apparence réservées aux enfants, Mats Grorud réussit à alerter sur une situation de fait qui devrait révolter toute âme assoiffée de justice et de paix. La clef -symbole fort du film- portée par Wardi rappelle aussi d’autres clefs, celles transmises dans les familles séfarades juives chassées d’Espagne et de Portugal et conservées comme le gage d’un improbable retour… Ironie de l’histoire : la création d’un état censée réparer les injustices du passé semble avoir transformé les victimes d’hier en oppresseurs.

Date de sortie : 27 février 2019 (1h 20min)
De Mats Grorud
Genres : Animation, Drame
Nationalités : norvégien, français, suédois

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