Escuchando al juez Garzon Isabel Coixet, juin 2012 + Interview Isabel Coixet

Escuchando al juez Garzon, le nouveau film de la réalisatrice catalane Isabel Coixet, n’est pas un documentaire facile d’accès. Des 8h d’enregistrements, Isabel Coixet n’en a conservé qu’une heure trente, assez pour retracer la carrière et la chute du célèbre juge espagnol, trop peu pour percer son mystère. Un mystère entretenu par le dispositif cinématographique choisi : filmé en contre plongée ou à contre-jour, le juge Garzon, rendu célèbre pour avoir lancé un mandat d’arrêt contre Pinochet et instruit l’enquête sur les meurtres du franquisme, répond aux questions du journaliste et écrivain Manuel Rivas. Des images sobres, en noir et blanc pour se concentrer sur la parole d’un homme qui après avoir incarné la justice et la recherche de la vérité s’est retrouvé, à son tour, sur les bancs des accusés. En février 2012, le juge Garçon a été suspendu de ses fonctions pendant onze ans suite aux plaintes déposées par des associations d’extrême-droite espagnoles qui lui reprochent d’enfreindre par son enquête la loi d’amnistie de 1977. Les enfants des victimes du franquisme pleurent, la mémoire de l’Espagne est à nouveau bafouée. Mais, les ennuis du Juge continuent : il est également poursuivi dans une affaire de corruption pour avoir touché des fonds d’une université américaine.

Isabel Coixet ne cache pas son affection pour le juge Garzon et son désir de réhabiliter un homme qu’elle estime victime d’une cabale politique. Son film a reçu le prix du meilleur documentaire aux derniers Goya, coiffant au poteau 30 ans d’obscurité, docu animé réalisé par Manuel H. Martin qui outre ses qualités cinématographiques évidentes traitait d’un aspect de la Guerre Civile rarement mis en scène : l’existence de topos, des personnes qui refusaient de s’exiler et vivaient cachées en Espagne pendant des années. Prix politique ou non comme il a été dit en Espagne, Escuchando al juez Garzon permet aux spectateurs européens d’entendre s’expliquer l’une des figures majeures du monde judiciaire espagnol et international. Un homme qui a gagné une réputation d’incorruptible : il a enquêté sur des affaires mettant en cause l’ex maire de Marbella et patron de l’équipe de football Atletico de Madrid ou la BBVA, grande banque espagnole. Garzon s’est aussi attiré des inimitiés en préservant son indépendance : s’il fut la bête noire des terroristes séparatistes basques, il mit aussi en cause José Barrionuevo Peña, ministre de l’Intérieur socialiste dans l’affaire des Groupes antiterroristes de libération. Pas étonnant donc qu’aucun homme politique de droite ou de gauche n’ait volé à son secours.

Le Goya n’a pas aidé Coixet à distribuer et promouvoir son film en Espagne. Depuis, la réalisatrice parcourt les festivals européens (elle était notamment à la Berlinale de 2011) pour le faire connaître. S’il est parfois malaisé pour un réalisateur de signer des portraits de personnalités qu’il aimerait voir disculpées dans des affaires criminelles, Isabel Coixet s’en sort plutôt bien. En s’effaçant au profil de l’interviewer Manuel Rivas, très posé, presque éthéré, en optant pour deux caméras, un découpage via des intertitres simples, le spectateur n’entend que le Juge Garzon; le spectateur sourit à son humour désabusé, se demande si son indignation est feinte ou réelle et finit par s’interroger sur le devenir d’un pays qui inculpe un homme célèbre pour avoir défendu les droits de l’homme en Espagne et à l’étranger… A chacun de se faire son opinion. Plus qu’une défense cinématographique sous la forme d’un portrait engagé, le documentaire d’Isabel Coixet nous donne matière à réflexion sur l’Espagne contemporaine.

INTERVIEW :

Nausica Zaballos : Pourquoi une réalisatrice qui a filmé Tim Robbins dans The Secret Life of Words ou tourné à Tokyo pour Map of the Sounds of Tokyo décide un jour de donner la parole au juge Garzon ? C’est pour le côté dramatique de son parcours ?

Isabel Coixet : Eh bien, je crois que le juge Garzon est une personnalité importante de la scène politique espagnole, cela fait plusieurs années qu’on le connaît et je pense que les gens ne se souviendront ni de Zapatero, ni de Rajoy [NDLR : premiers ministres espagnols des gouvernements de gauche et de droite successivement]… Le juge Garzon lui restera dans les mémoires. C’est pour moi une figure historique incontournable qui fait le lien entre plusieurs dimensions de la vie publique espagnole. C’est aussi un individu qui donne à voir l’une des caractéristiques du monde espagnol : la jalousie. Il en a été victime, tous ses collègues étaient jaloux de lui, et c’est ce qui a permis qu’on instruise trois enquêtes contre lui.

Si on regarde son parcours, il est évident que c’est un juge indépendant, qui n’a jamais fait de courbettes aux hommes politiques de droite ou de gauche (…) C’est un juge qui a osé, qui s’est permis de rendre justice comme personne n’avait osé le faire avant. Ce qui est très important pour moi, c’est le concept de justice universelle qu’il porte de tout son être. Cela me paraît indispensable qu’un système de justice puisse être conçu pour permettre l’extradition et la poursuite de personnes qui commettent des crimes… en Nouvelle Zélande par exemple…

Nausica Zaballos : Pourquoi le juge Garzon s’est-il prêté à l’exercice cinématographique ? C’était une manière d’alléger sa peine ou de se défendre publiquement ?

Isabel Coixet : Je crois qu’il avait envie de parler, oui… et aussi de se montrer tel qu’il est, un être humain… parce que les media espagnols ont fait de lui un portrait qui… est très froid… On l’a dépeint comme une personne très distante, on le voyait entrer ou sortir du tribunal, il n’a jamais eu l’opportunité de s’expliquer… En Espagne, l’opinion publique est partagée quant à sa culpabilité et… mon documentaire. Mais les personnes qui ne veulent rien entendre ne changeront jamais d’avis…

© Nausica Zaballos, 2012

Nausica Zaballos : Vous avez choisi une mise en scène très sobre [NDLR:le noir et blanc ne relève pas d’un choix cinématographique pur, Isabel Coixet n’aimait pas la couleur pistache des murs de l’appartement du Juge]. Ne pensez-vous pas que cela contribue à accentuer le côté froid et calculateur du Juge, qui ressort aussi dans le titre de son livre La Force de la Raison ?

Isabel Coixet : oui, mais je pense qu’on ressent son émotion lorsqu’il évoque ses enfants… C’est vrai, ce n’est pas quelque chose qui saute aux yeux mais il ne fait pas semblant. Je crois que si on l’avait filmé avec ses enfants ou en train de caresser un chien, là on aurait tenté de manipuler l’opinion… C’est ce genre de mises en scènes qui relèvent de la manipulation. On a essayé de respecter la personne tout en laissant percer l’émotion quand elle se présentait.

© Nausica Zaballos, 2012

Nausica Zaballos : D’autres projets ?

Isabel Coixet : Je vais réaliser un film aux États-Unis…sur une femme qui ne vieillit pas !

Nausica Zaballos : Et le casting ?

Isabel Coixet : On y travaille !

La critique du documentaire et l’interview d’Isabel Coixet que j’avais faite ont été publiés précédemment sur le site cinemapolis.

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.