Diamantino, Gabriel Abrantes, Daniel Schmidt, 28 novembre
La figure de l’idiot n’est pas nouvelle au cinéma, qu’elle prenne l’apparence d’un benêt au grand cœur -Forrest Gump-, d’un génie autiste -Rain Man- ou d’un personnage marginal en rupture avec l’ordre bourgeois (les héros et héroïnes du Dogme 95). Dans son Traité de l’idiotie, publié en 1977 aux éditions de Minuit, Clément Rosset écrivait : « Idiotès, idiot, signifie simple, particulier, unique. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes. » Cette définition s’applique particulièrement bien aux idiots moissonnés et primés à la dernière édition du festival de Cannes, les bienheureux Lazzaro (variation cinématographique autour de Saint François d’Assise) dans le film d’Alice Rohrwacher et Diamantino, créature folle issue de l’imagination débordante du duo formé par les réalisateurs lusophones Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt.
Diamantino est unique en son genre car en tant que personnage, il défie les attentes des spectateurs. Footballeur adulé et star télévisuelle planétaire qui vaut des millions si ce n’est des milliards, il est le modèle des jeunes et moins jeunes qui rêvent de lui ressembler (que ce soit pour son supposé sex-appeal ou son compte en banque). Mais à la manière d’un terrier lewis carrolien, la lucarne offerte par les réalisateurs nous font entrevoir un monde sans queue ni tête et un héros qui cloche, et pas qu’un peu… Sans son père, agent et protecteur véritablement désintéressé, Diamantino n’est qu’un gosse perdu, à la merci de tous les vautours avides de son argent ou de son corps… Et justement, le paternel décède (est tué par le sœurs de Diamantino ?) le soir de la finale de la coupe du monde, le soir même où Diamantino rate le but qui aurait pu permettre au Portugal de gagner. Culpabilité, syndrome de l’imposteur, Diamantino est assailli par une multitude d’émotions jusqu’alors inconnues qui mettent à nu sa vulnérabilité sous-jacente.
Il va de soi que dès les premières images, les réalisateurs s’obstinent à déconstruire l’image du footballeur comme Dieu du stade. Cette vénérable icône contemporaine s’incarne ici dans le corps d’un gentil crétin doté d’une maturité affective et intellectuelle équivalente à celle d’un enfant de 6 ans. Pour marquer un goal, Diamantino imagine des petits chiots à poils longs cavaler à ses côtés. Mais au-delà du kitch et des paillettes (qui sont également la marque de fabrique des sœurs diaboliques de Diamantino) inondant l’écran, Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt nous interpellent sur notre complicité dans la construction d’un réel schizophrénique.
A mi chemin entre l’univers surréaliste d’un Guy Maddin et les visions cauchemardesques de David Lynch, Diamantino brasse et remixe des éléments de genre propres à la série Z –le complot, le laboratoire secret où la scientifique maléfique Docteur Lamborghini s’adonne à des expériences génétiques sur Diamantino- pour mieux détourner les normes des soaps-opéras et de la télé-réalité auxquels nous nous sommes hélas déjà accoutumés. Dans le film, la présentatrice portugaise Manuela Moura Guedes, connue pour sa bouche siliconée et son activisme politique au sein de la droite conservatrice, joue d’ailleurs son propre rôle. Quant aux sœurs jumelles, toutes deux très à l’aise quand il s’agit de dépecer un porc, elles ont la beauté et « l’élégance » d’une Eva Longoria. Et, la ministre des sports, une handicapée (c’est plus politiquement correct), est une executive woman au cœur de pierre !
A ce gynécée castrateur et hystérique répond la douceur angélique d’un footballer encore vierge qui symbolise bien malgré lui le rouleau compresseur d’un hyper-libéralisme conquérant. Le complet décalage entre ce qui est censé être juste et bon (car il s’agit bien là d’un film sur la bonté et l’éthique en politique et dans les médias) et ce qui pourrait l’être est également souligné par la bande-son avec la séquence mémorable de l’adoption du réfugié (en réalité une agente secrète lesbienne qui se fait passer pour un garçon prénommé Rahim)! Alors que le bolide de Diamantino file vers son manoir, Rahim-Aisha passe la tête par la fenêtre, et dans ce paysage paradisiaque de carte postale retentit le tube pop sirupeux « I love you, always forever » de Donna Lewis. Le tout se termine bien entendu par un ralenti sur des visages ravis comme dans les meilleures émissions de TV tire-larmes…
C’est un peu cette société du fake et du vide sidéral que Diamantino à la fois parodie et célèbre avec des images bruitées à l’esthétique granuleuse du roman-photo. Et même si Diamantino, in fine, est un film parfaitement idiot, qui ne se prend jamais au sérieux, et se termine d’une manière aussi improbable qu’il a commencé, il aura au moins le mérite de vous rendre plus compatissant envers vos connaissances -au bord du désespoir- qui spamment votre messagerie de photos de chatons et de chiots au regard larmoyant.
Date de sortie : 28 novembre 2018 (1h 32min)
De Gabriel Abrantes, Daniel Schmidt
Avec Carloto Cotta, Cleo Tavares, Anabela Moreira…
Genre : Comédie
Nationalités : portugais, français, brésilien
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