Basquiat (Boom for Real), Sara Driver, 19 décembre

Après un hiatus de près de 24 ans (qu’elle attribue au double dénigrement  dont elle a été victime de la part d’un certain milieu intellectuel, parce qu’elle est une femme issue d’une famille de banlieusards –commuters– et non de New-yorkais pure souche, voir à ce sujet l’excellent article de The Independent), la réalisatrice et compagne de Jim Jarmusch Sara Driver repasse derrière la caméra pour signer un documentaire sensible qui a le mérite de souligner la filiation de Jean-Michel Basquiat avec les cultures urbaines

Mêlant images d’archives, photographies inédites d’Alexis Adler (ex-petite amie de Basquiat), lectures de textes du jeune touche à tout, interviews récentes de proches de Basquiat (copains de galère et artistes survivant à la déliquescence d’une ville et d’une époque), Boom for Real dégage une incroyable énergie communicative. Si les extraits de flash infos montrent une ville à feu et à sang, en proie au chaos le plus total, déclarée en faillite et abandonnée par l’état fédéral, les pérégrinations diurnes et nocturnes de ces héritiers de la Factory (même si Warhol était has been et kitch pour les galeristes de l’époque), leur sensibilité à fleur de peau et surtout leur envie dévorante de conquérir le monde et de tout expérimenter plongent le spectateur dans la nostalgie d’une époque qui apparaît aujourd’hui comme un foisonnement de créativité inégalée.

On suit Basquiat errant d’un hôtel minable au salon d’une petite amie, en passant par ses visites aux mythiques clubs de l’époque, le Mudd mais aussi le Club 57, et les plateaux de l’émission TV Party animée par Glenn O’Brien à qui est dédié le film, sans oublier les ateliers de reprographie (qui permettent aux premiers fanzines et flyers d’exister). Basquiat suscite l’admiration partout où il passe. Pourtant, même s’il possède une solide culture personnelle, il n’est pas vraiment issu du même milieu intellectuel que le jeune conservateur d’art Diego Cortez (né James Curtis dans l’Illinois) et les activistes du collectif artistique COLAB et il ne possède pas les réflexes de survie d’un graffeur comme Eddie Quinones qui se fait la main sur les wagons de métro et travaille à toute vitesse pour éviter d’être victime d’une balle perdue.

Howard the Duck, Lee Quiñones, 1982.


Non, Basquiat n’appartient à aucun de ces deux mondes mais c’est justement sa capacité à passer avec aisance de l’un à l’autre qui exemplifie l’autre phénomène unique mis en lumière par la réalisatrice : ce moment éphémère mais pivot de l’histoire de l’art nord-américain où les formes d’expression issues des cultures urbaines se mettent à dialoguer avec les autres formes d’art -plus « respectables », plus anciennes. Cela ne dure pas, malheureusement, mais cela correspond à un décloisonnement de toutes les formes d’art et surtout le rejet d’un rôle prédestiné pour les aspirants artistes. Basquiat mais aussi Kenny Scharf ou Vincent Gallo avec qui il fonde le groupe proto noise Gray peignent, sculptent, défilent, déclament…

Le documentaire s’attache à retrouver les traces d’œuvres méconnues de Basquiat (ses tags SAMO, pour Same Old Shit, éparpillés à proximité des galeries d’art tendance tel un pied de nez) ou les vêtements qu’il avait crées pour la collection Man Made, évoqués ici par Patricia Field, aujourd’hui principalement connue pour son travail de costumière de la série TV Sex and the City.

Si le film se réduisait à sa galerie de portraits et d’interviews de figures mythiques de cette époque (celles déjà citées mais aussi Fab Five Freddy ou Jarmusch himself), Boom for Real ne serait qu’un mausolée fréquenté par de vieux vétérans. Mais le montage gracieux et pertinent ainsi que l’intelligence des nombreuses analyses rétrospectives des témoins convoqués transforme cette évocation d’un artiste en devenir en reflet de toute une époque. Les œuvres de Jean-Michel (très présentes figurativement) seront peu détaillées, et la réalisatrice ne tentera pas de percer le mystère biographique Basquiat (contrairement au film de Tamra Davis The Radiant Child), mais au moins a-t-elle réussi à illuminer les ambitions et le parcours fulgurant et savamment orchestré d’un jeune homme prêt à tout pour devenir le premier noir américain à faire de l’art et surtout à en vendre.

Date de sortie : 19 décembre 2018 (1h 18min) De Sara Driver Documentaire

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