Les soeurs Quispe, de Sebastian Sepulveda, le 4 juin.

Auréolé de prix, Les Sœurs Quispe, film chilien de Sebastian Sepulveda, transporte le spectateur jusqu’aux plateaux désertiques de l’Altiplano. Adaptée d’une histoire vraie, Les Sœurs Quispe est une fiction dont l’action est resserrée autour de ses personnages principaux, trois bergères d’une même fratrie. Il y a d’abord l’aînée : Justa Quispe (jouée par la nièce des véritables sœurs Quispe décédées en 1974), Luciana Quispe (interprétée par Francisca Gavillan qu’on avait pu apprécier dans le rôle titre de Violeta se fue a los cielos, le biopic sur la chanteuse Violeta Parra) et la cadette, Lucia Quispe (Catalina Saavedra récompensée pour son rôle dans La Nana).

Un duo de stars accompagnée d’une actrice non-professionnelle, directement impliquée dans les situations qui se déroulent à l’écran, puisqu’elle est la survivante d’un monde voué à disparaître complètement. Pour comprendre les motivations des trois femmes, le réalisateur a tourné à l’endroit même des faits, partageant la vie de l’une des dernières familles indigènes à vivre dans la région. Une approche quasi documentaire pour un film aux accents naturalistes qui n’en reste pas moins une fiction, format parfait pour traiter d’un drame qui conserve encore une part de mystère.

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Vivant en autarcie, encore plus repliées sur elle-même depuis la mort de leur père, mineur, et de Maria, leur sœur protectrice, les Quispe ne connaissent pratiquement rien des événements politiques qui agitent le reste du pays. Avec l’accession au pouvoir de Pinochet, des milliers d’intellectuels de gauche -médecins, professeurs- ou d’ouvriers syndicalistes sont pourchassés pour être emprisonnés et assassinés. Sur les hauts plateaux de l’Altiplano, la conscience politique importe finalement peu : la vie des trois sœurs appartenant à l’ethnie Coya est rythmée par le pâturage caprin, la tonte et la traite des bêtes, la collecte de petit bois et de charbon… Les seules distractions sont le passage de quelques touristes égarés et surtout du vendeur de vêtement, un vieil homme qui se verrait bien épouser Lucia, la plus jeune et séduisante des Quispe.

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Évoluant dans un monde minéral escarpé, les sœurs Quispe sont aussi tranchantes que les rochers : il y a quelque chose de très inquiétant dans l’attitude de Justa (la Juste), véritable duègne, qui s’obstine à dissuader Lucia de partir vivre en ville ou se marier. La décision qu’elle prendra -radicale et surprenante- sera une manière pour elle de figer le temps, de continuer à vivre comme avant. Le réalisateur ne juge pas, il donne à voir trois femmes complètement déboussolées par l’irruption d’un facteur extérieur -la politique de lutte contre l’érosion- dans leur quotidien bien ordonné. En osmose avec leurs troupeaux, les filles se sont peu à peu animalisées et leurs dialogues -rares mais savoureux- font état de cette identification avec la chèvre, animal rétif qui s’effarouche facilement.

Que va devenir leur troupeau ? Des hommes vont-ils venir de la ville pour abattre leur troupeau ? Et si elles ne peuvent plus vivre du commerce des bêtes, que feront-elles ? La lutte contre l’érosion a souvent été un prétexte pour assimiler des populations indigènes et leur ôter tout moyen de subsistance. Déjà, dans les années 1930, le Stock Reduction Program imposé aux Navajo aux États-Unis, les privait de leurs moutons, seule réelle source de richesse des familles.

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Le réalisateur, fils de réfugiés politiques chiliens, choisit de faire dialoguer deux formes de résistances -celle des Quispe, femmes rudes et illettrées et celle des intellectuels en fuite, symbolisée par l’arrivée de Don Francisco, citadin en route pour l’Argentine qui leur laisse une lettre qu’elles se seront incapables de lire. Un sentiment d’impuissance, d’extrême solitude, envahit peu à peu le film, comme si toute forme de renaissance était impossible. Les hommes, l’intellectuel et le vieux vendeur, portes vers l’extérieur, demeurent des silhouettes étranges (Lucia et Luciana s’étonnent de la coupe seventies du vieux prof), voire inquiétantes qu’on maintient au loin par divers stratagèmes (le fil tendu avec la petite cloche). L’univers des sœurs Quispe, peuplé de silences, est aussi celui de la rumeur et de la superstition (le lama changé en jeune fille vierge, l’os divinatoire)… des croyances effrayantes qui se fondent pourtant sur une part de vérité : comme lorsqu’on apprend que Justa fut violée par un inconnu.

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Au final, c’est une sorte de matriarcat stérile qui ressort vainqueur de la mort et des soubresauts historiques comme pour mieux faire coïncider, en un ultime pied de nez au destin, la terreur des régimes liberticides et l’obscurantisme jusqu’au-boutiste. Un très beau film.

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Date de sortie : 4 juin 2014 (1h20min)
Réalisé par Sebastian Sepulveda
Avec Dina Quispe, Catalina Saavedra, Francisca Gavilán…
Genre : Drame
Nationalité : Chilien, français, argentin

Prix : Prix Fedora de la Meilleure Photographie à la Semaine de la Critique du Festival du Film de Venise 2013; Mention spéciale au Festival Mar del Plata Latin American 2013; Prix du public au Festival Genève Filmar en America Latina 2013, Rail d’or Cinélatino Toulouse 2014.

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