Hedy Lamarr : from extase to wifi, Alexandra Dean, 6 juin
Un joli visage peut aussi appartenir à une femme intelligente. Voilà le sous-titre qui conviendrait au documentaire d’Alexandra Dean qui explore une face méconnue de l’existence hollywoodienne d’Hedy Lamarr, élue plus belle femme du monde dans les années 1940, et chercheuse de génie. Alors qu’un contrat abusif l’oblige à jouer les séductrices exotiques dans les films de la Metro Goldwyn Mayer, l’actrice rescapée du nazisme passe son temps libre à griffonner des schémas techniques et des équations. Car Hedy, fugitive d’un mariage raté avec un riche industriel autrichien -elle s’échappe une nuit à vélo d’une réception familiale pour gagner Londres, puis les USA à bord du paquebot Normandie– s’est toujours passionnée pour la science et les expériences en labo.

Quand la fiction rejoint la réalité : Spencer Tracy et Hedy Lamarr dans Cette femme est mienne, 1940. © « Cette femme est mienne » / W. S. Van Dyke / Metro-Goldwyn-Mayer
Mais pour gagner sa croûte et ne pas dépendre d’un mari possessif, aussi riche soit-il, les possibilités d’une jolie femme à la fin des années 1930 sont assez limitées. Hedwig Eva Maria Kiesler, que le producteur nabab Louis B. Mayer n’a pas encore rebaptisée Hedy Lamarr, sait que son physique est son gagne-pain le plus sûr. N’a-t-elle déjà pas tourné dans son pays d’origine ? Ne s’est-elle déjà pas imposée en véritable sex symbol à 18 ans en tournant Extase de Gustav Machatý où les spectateurs pouvaient la voir nager et courir nue dans un drame champêtre qui passera à la postérité pour contenir la première scène d’orgasme au cinéma ?
Le documentaire d’Alexandra Dean n’apporte rien de bien nouveau au mythe d’Hedy Lamarr. Les anecdotes concernant la jalousie de son époux n°1, l’armateur Friedrich Mandl, qui s’échine, en vain, à racheter toutes les copies existantes d’Extase ou l’idylle supposée avec John Fitzgerald Kennedy qui lui apporta des oranges lors de leur premier rendez-vous, tout cela, Hedy ou ses nombreux biographes l’ont déjà dit, écrit et commenté ailleurs. D’ailleurs le documentaire s’appuie beaucoup sur les interviews de biographes, Richard Rhodes, auteur d’Hedy’s Folly sorti en 2011, l’un des premiers à avoir mis en lumière les travaux intellectuels de l’actrice, avec Stephen Michael Shearer, auteur du plus cinéphile Beautiful: the life of Hedi Lamarr.
Comment un documentaire s’appuyant sur des faits ou rumeurs largement détaillés ailleurs peut-il alors encore surprendre ? La sortie de Bombshell: the Story of Hedi Lamarr (titre original du film), aux lendemains de l’affaire Weinstein et en plein mouvement Me Too est fort à propos puisque le film tente de réhabiliter une actrice qu’on a cantonnée aux rôles de séductrices glamour et une femme qu’on a stigmatisée pour son supposé appétit sexuel – Hedi se fit mettre la bague au doigt 6 fois et on lui prête de nombreux partenaires. Le portrait brossé à travers les confidences de ses enfants mais surtout les enregistrements de conversations téléphoniques entre l’actrice vieillissante et le journaliste d’investigation Fleming Meeks est celui d’une personnalité complexe aux milles facettes, une femme qui choisit de se réinventer (en bien mais aussi parfois en très mal) dès qu’elle le juge opportun, allant jusqu’à renier son héritage judaïque et accepter d’être enfermée dans un rôle de star écervelée pour s’intégrer et obtenir la nationalité américaine.
Si le documentaire parvint à rendre justice à l’actrice en faisant connaître au grand public ses inventions ratées -une pastille de coca-cola effervescente- ou réussies – un signal de transmission reposant sur le principe de l’étalement de spectre par haute fréquence qu’elle co-développe avec le pianiste touche à tout George Antheil, il enferme paradoxalement la star dans son rôle de victime d’Hollywood, en insistant peut-être un peu trop sur sa lente descente aux enfers (problèmes sentimentaux, non-reconnaissance de ses travaux de recherche par l’état-major, démêlés judiciaires après avoir été reconnues coupable de vol à l’étalage, perte définitive de sa beauté et de sa crédibilité à force de chirurgie plastique). De même, on regrettera que l’aspect scientifique des inventions d’Hedy Lamarr ne soit davantage développé ou explicité. Le raccourci qui vise à faire de l’actrice la « mère » du Wifi est emblématique d’un film qui, croulant sous les témoignages, de fans (Mel Brooks), d’héritières (Diane Kruger), de descendants, d’historiens du cinéma (Peter Bogdanovich), finit par mal étreindre son sujet.
Qui était Hedi Lamarr ? Une femme facétieuse, sans nul doute. Une intellectuelle incomprise car prisonnière du masque de la beauté, c’est certain. Mais, il manque au film un peu de légèreté, de dérision même, pour réellement honorer la mémoire de Lamarr et captiver le spectateur. La manière de conter l’ascension et la chute d’Hedy est trop académique, les incursions du côté de l’animation avec notamment l’intervention de Jennifer Hom, créatrice d’un doodle en l’honneur du 101ième anniversaire de la naissance de l’actrice sont trop rares. Vu la fougue et l’inventivité d’Hedy Lamarr, on aurait aimé un documentaire visuellement plus stimulant. Reste un honnête film qui rétablit une forme de dignité pour une femme qui méritait d’être reconnue pour ses multiples talents.
Date de sortie : 6 juin 2018 (1h 26min)
De Alexandra Dean
Avec Hedy Lamarr
Genre : Documentaire
Nationalité : américain
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