Abracadabra, Pablo Berger, 4 avril 2018

En France, il n’y a plus que dans les adaptations télévisuelles de Maigret, avec le regretté Bruno Cremer, que l’on rencontre des personnages qui consomment encore des fines à la brasserie du coin ou se font livrer des croissants au bureau. En Espagne, par contre, pas un film sans son bar (Alex de la Iglesia en a même fait un personnage à part entière dans son dernier film éponyme), où l’on déguste chaque matin un chocolate con churros avant d’aller au travail. Quiconque a vécu à Madrid (ou séjourné suffisamment de temps dans cette petite capitale pour comprendre les us et coutumes des autochtones) sait que les Espagnols ne sont pas des lève-tôt. Là-bas la journée de travail commence vers 10h ou plus tard, pas avant… mais du coup elle peut se terminer tard, aux alentours de 21h, juste avant le telediario (l’équivalent de notre JT de 20h)… Bref, ces petites considérations sociologiques me servent à introduire Abracadabra, drame psychologique et film fantastique réalisé par Pablo Berger, un film si typiquement espagnol que ça pourrait friser le cliché. Le spectateur a droit à un condensé de toutes les images d’Épinal castillanes, qui pour une partie de la population ibère, reflètent bel et bien une certaine réalité économique et politique.

Soit donc un mariage avec robes ultra kitch dans un salon ultra ringard, un mari amateur de bière et de foot, des femmes -de tous âges- au bord de la crise de nerf (merci M. Almodovar pour avoir réinventé et rajeuni ce genre de personnage féminin historique), une banlieue d’immeubles de briques rouges (Carabanchel a beau avoir mauvaise réputation, elle est cinégénique)… Dans un pays où la violence de genre (de genero) fait des milliers de victimes chaque année, une femme s’inquiète de voir son mari macho métamorphosé en tendre fée du logis après avoir été hypnotisé. Très vite, la comédie de mœurs bascule dans un film qui emprunte autant aux atmosphères lynchiennes qu’à l’imagerie d’un Jean-Pierre Jeunet période Delicatessen.

Telle une Alice tombée au fond d’un terrier, Carmen rencontre une galerie de trognes plus inquiétantes les unes que les autres : du grand maître hypnotiseur qui diagnostique une possession à l’agent immobilier qui reconstitue avec force détails sanguinaires (mais drôles) un affreux meurtre, chaque nouvel interlocuteur lui fait découvrir un monde sur le point d’être contaminé par une dangereuse folie. Et malgré les couleurs criardes, saturées ou solarisées qui inondent l’écran, nous nageons bien en pleine noirceur.

Si Carmen progresse dans son enquête, il semblerait bien qu’elle est vouée à une vie sans issue, l’esprit ayant pris le contrôle du corps de son mari n’étant pas aussi angélique que son comportement pourrait le laisser supposer. Et Pablo Berger d’épingler au passage tous les dysfonctionnements et excès sociétaux qui transforment l’humain en monstre.

La profusion baroque de gags (plus au moins lourds) ne doit pas faire oublier l’aspect profondément satirique de cette comédie morbide et l’issue scénaristique (et visuelle très réussie) trouvée à la fuite en avant de Carmen en dit long sur les combats que les femmes espagnoles doivent encore mener aujourd’hui.

Date de sortie : 4 avril 2018 (1h 36min)
De Pablo Berger
Avec Maribel Verdú, Antonio de la Torre, José Mota…
Genres : Comédie dramatique, Fantastique, Thriller
Nationalités : espagnol, français

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