Mr & Mrs Geek ont vu : La forme de l’eau, Guillermo del Toro, 21 février
Mrs Geek : ça faisait longtemps que je n’avais pas été autant emballée par un film de SF.
Mr Geek : Bof, qu’est ce qui t’a tellement plu dans ce film chimère ?
Mrs Geek : Film chimère ? il va falloir que tu m’expliques ce que tu entends par là. Bah, pour commencer, la déclaration d’amour au cinéma de genre faite par le réalisateur à travers ces multiples clins d’œil aux œuvres qui ont précédé La Forme de l’eau. On pense immanquablement à L’étrange créature du lac noir de Jack Arnold (1954) mais la love story entre la Belle et la Bête pourrait aussi faire songer à du Cocteau avec Jean-Marais, sorti en France presque 10 ans avant le film d’Arnold.
Mr Geek : justement, le film est tellement truffé de références qu’il ne reflète aucune vision ou imagination personnelles, c’est un film composite, de bric et de broc, on y trouve la créature inquiétante mais sympa, le laboratoire ultra-secret, les espions russes et l’armée américaine pendant la guerre froide… En plus, les personnages sont tellement caricaturaux que ça ne correspond même pas à une série Z : il faudrait inventer une lettre après Z pour qualifier ce film.
Mrs Geek : caricaturaux, les personnages ? Au contraire, Del Toro s’amuse des conventions de genre pour accoucher d’un film complètement différent de ce que l’on pourrait attendre. Ici, le russe de service est pétri d’humanité, il ne constitue pas une menace pour l’héroïne et le monstre, et il donne même une leçon de morale aux américains.
Mr Geek : Oui, mais cette supposée originalité des personnages n’est pas au service du récit, c’est juste une autre sorte d’assemblage légitimé par le message politique du film : l’union de tous les freaks (Giles le colocataire gay, Zelda la meilleure amie noire, Elisa l’héroïne latino muette, sans oublier le monstre) fait leur force.
Mrs Geek : et pourquoi pas ? c’est un film sur la différence, la tolérance qui prend pour toile de fond le début des années 1960 américaines avec la montée du consumérisme et l’apogée de l’idéal suburbain pavillonnaire nord-américain… Mais, contrairement à Tim Burton, qui critique ce modèle à travers les yeux de son personnage principal « différent » (Edward aux mains d’argent par exemple), ici, l’idéal se craquelle et se fissure autour du méchant de service… et c’est particulièrement intelligent et novateur de montrer le jeune militaire sadique (excellent Michael Shannon) éprouver de l’attirance pour Elisa alors qu’il « possède » à la maison le modèle bourgeoise au brushing impeccable, puis vouloir quitter sa banlieue bien qu’épouse et enfants s’y plaisent…
Mr Geek : oui mais alors si Guillermo del Toro veut prendre le contrepied de tout ce qui s’est déjà fait, pourquoi conclure le film par une fin aussi convenue, à la fois dramatique et féérique ?
Mrs Geek : tout simplement parce que ce film est l’anti Inception. C’est une histoire d’amour complètement improbable mais comme pour tous les contes de fées, on a envie d’y croire jusqu’au bout. C’est vraiment un cri d’amour au cinéma, à sa capacité de nous emmener loin de la réalité morne (voire parfois glauque) du quotidien. Même si le film baigne dans une tonalité verte-bleutée, les lumières de la ville (s’opposant à l’univers froid et aseptisé du laboratoire mais aussi de la banlieue) percent à travers la grisaille grâce aux néons du cinéma qui se trouve en-dessous de l’appartement d’Elisa. Ce n’est pas un hasard si le colocataire d’Elisa préfère zapper le flash information (plutôt inquiétant qui montre les tensions raciales et politiques) pour regarder de vieilles comédies musicales (par exemple Coney Island, sorti en 1943 avec Betty Grable) et si l’ensemble de cette féérie aquatique ondule au rythme de vieilles ritournelles intemporelles telles que You’ll never know (extrait de la comédie musicale Hello Frisco Hello de 1943) ou I Know Why (And So Do You) du film Sun Valley Serenade. Tout simplement magique et indémodable.
Date de sortie : 21 février 2018 (2h 03min)
De Guillermo del Toro
Avec Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins…
Genres : Fantastique, Drame, Romance
Nationalité : américain
Commentaires récents