Les garçons sauvages, Bertrand Mandico, 28 février 2018
Embarquez. Laissez-vous mener en bateau. Laissez-vous malmener.
Décryptez la carte du tendre en négatif sur un vit gravée. Au bout d’une traversée chaotique, pénétrez l’île moite et touffue. Paradis artificiel à la nature infernale. Souffrez de souffrir, souffrez de jouir plus que votre soûl en cette île où il se fait elle. Ici, nulle innocence. Nulle inoffense.
Île des âmes en perte, île mystérieuse, île oubliée. Vous y êtes. Ici tout est étrange, tout est familier. Tout est inquiétant, tout est réconfortant. Derrière tout ce qu’elle sécrète, nul secret : l’île est habitée de tous ceux qui nous habitent, nous fouissent, nous cultivent. Chacun y reconnaît les siens, chacun s’y reconnaît. La liste serait toute aussi foisonnante que le lieu, véritable galerie des âmes sauvages de la création.
En passeur, Bertrand Mandico fait de son île le territoire du cinéma – mais pas que. Outre les clins d’œil, emprunts et références, c’est toute sa puissance intrinsèque (esthétique, fictionnelle) qu’il déploie. Maniériste, impressionniste, expressionniste, et plus encore, il se ballade et nous ballade en triturant le corps, la chair du cinéma. Compositions, collages, lumières, sons, couleurs, tous les éléments, tous les organes exsudent, expriment. Il pulvérise nos conforts de spectateurs, notamment en préférant aux effets spéciaux les trucages, et jusqu’aux trucs d’antan. D’emblée, ça nous saute aux yeux comme un molosse à tête humaine. Au final, on n’y a vu que du feu. L’œil rincé. Le corps languide.
Le champs visuel et sonore pulse de toute la puissance fictionnelle à l’œuvre. C’est le monde qui résonne et raisonne dans ce bijou serti de moult joailleries plus fantasmagoriques et oniriques les unes que les autres. Puissance originelle de la fiction, qui en fait le plus bel écrin pour la réalité.
Puissance originelle du cinéma, celle qui fit trembler, déguerpir les premiers spectateurs à la vue de l’arrivée d’un train.
Et Mandico de convoquer ce spectateur originel, ce sauvage épris du désir d’être culbuté. Sauvage néanmoins conscient que toute image est un leurre. Nulle image n’est inoffensive. Pénétrer la salle obscure c’est prendre le risque de ne pas en sortir indemne. Le risque d’être offensé. Le risque d’être dérangé. D’être dégenré.
Cyril Jouhanneau
Date de sortie : 28 février 2018 (1h 50min)
De Bertrand Mandico
Avec Pauline Lorillard, Vimala Pons, Diane Rouxel…
Genre : Fantastique
Nationalité : français
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