Lady Bird, Greta Gerwig, 28 février 2018

Le premier film de l’actrice Greta Gerwig en tant que réalisatrice était attendu au tournant. Normal : la muse de Noah Baumbach est l’une des stars les plus attachantes et douées du moment. Après avoir été l’ambassadrice du mumblecore (des films tournés avec trois fois rien), Greta avait commencé à être reconnue pour ses talents burlesques et « ce je ne sais quoi » charmant qui n’est pas uniquement propre aux personnages peuplant des décors typiquement new-yorkais.

Avec Lady Bird, Greta puise dans ses souvenirs d’adolescente, puisque le film est vendu comme ouvertement biographique. On s’apitoie donc sur son sort passé : son héroïne fréquente un établissement catholique hardcore (administré par des nonnes qui sont également enseignantes, ce qui fera marrer tout ancien élève de lycée privé sous contrat français). Au menu des longues journées de Christine, qui s’est rebaptisée Lady Bird (peut-être parce qu’elle rêve de s’envoler très loin de cet environnement aliénant, pas très finaud le symbole) : des cours ennuyeux, des leçons de morale (la rare scène véritablement drôle de ce film aseptisé est celle de l’assemblée anti-avortement), des messes, des prières quotidiennes…

Dès les premières images, vu son look grunge très années 1990 (et le film est censé se dérouler en 2002, ce ne sera pas l’unique incohérence scénaristique), on comprend que Lady Bird adopte la posture de rebelle. Mais, tout au long de ce qui se présente comme un récit initiatique, on n’arrive pas vraiment à identifier ce contre quoi elle se rebelle. Lady Bird est victime du syndrome « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. » Outre l’absence d’enjeux –le seul suspense est de savoir avec quel type Christine perdra sa virginité, un comble pour un métrage décrit comme féministe en interviews par sa réalisatrice- Lady Bird pâtit d’un manque total de caractérisation des personnages qui sont tous réduits au rôle de faire-valoir de l’actrice principale, la jolie Saoirse Ronan (excellente dans le moins populaire film dystopique How I live now), double et alter-ego à l’écran de Greta Gerwig.

Il y avait pourtant de quoi faire avec ces seconds-rôles : le premier petit ami – issu d’une famille irlandaise huppée- qui se révèle gay, l’ancien père de famille devenu curé au suicide de son fils… Mais, dès que le film leur accorde, via les seuls rebondissements de l’intrigue, la possibilité de prendre corps ou de gagner en épaisseur, ils sont biffés du récit et disparaissent littéralement de l’écran. Dérangeant pour un film qui prétend être une peinture réaliste -et donc pourrait-on attendre, un brin critique- du milieu catholique et adolescent décrit à force de reconstitutions musicales, Crash into Me de Dave Matthews Band ou Hand in My Pocket d’Alanis Morissette (tubes de 1997 et 1995 respectivement, et le film se déroule en 2002 mais passons…)

Mais, non, l’artiste homo et le curé dépressif sont éjectés, mis au placard, à l’image peut-être du sort qui leur est réservé dans ce type de milieu ultra-conservateur… Exit aussi la supposée liaison entre la meilleure copine obèse et le prof de maths marié, un séducteur assez craignos… C’est comme si toutes les allusions qui y menaient n’avaient jamais existé.

Et que penser de la relation mèrefille, sorte de fil rouge pour suivre l’évolution de Christine ? Les remarques assassines que Marion McPherson (impeccablement jouée par Laurie Metcalf, qui interprète aussi la mère de Sheldon dans The Big Bang Theory) lance à sa fille font froid dans le dos… avec toujours cette obsession de l’argent que Christine lui couterait. Paul Récamier a fort bien décrit ces fonctionnements pervers dans ses travaux sur l’incestuel… mais ici, c’est traité sur le mode de la comédie alors que rien, dans ces échanges violents, n’est humoristique.

Le film est peut-être tourné d’après le point de vue presque enfantin de la jeune Greta/Saoirse mais c’est comme si la réalisatrice, incapable de suivre et de dénouer plusieurs fils scénaristiques, se contentait de rester à la surface des situations et des êtres. Le film manque donc cruellement d’aspérités et de complexité.  C’est une tranche de vie intimiste me rétorquera-t-on… Certes, mais quand on songe au génialissime Ghost World, un autre film sur l’entrée dans l’âge adulte, avec tous les tourments que cela implique mais aussi une ironie mordante et un nihilisme enthousiasmant incarnés par les toutes jeunes Scarlett Johansson et Thora Birch… On réalise alors que le succès de Lady Bird est d’être dans l’air du temps : politiquement correct, superficiel, conservateur -voire réac – sous des dehors de rebelle de pacotille.

Scarlett Johansson et Thora Birch dans Ghost World

Être adulte, c’est aussi pouvoir se retourner sur son passé et porter un regard lucide -qui peut rester bienveillant- sur sa famille, ses amis d’enfance, ses origines : avec ce film, tout porte à croire que Greta Gerwig est restée coincée dans cet entre-deux existentiel adolescent où l’on aspire à quelque chose d’autre sans jamais savoir quoi réellement, à l’image de Frances Ha, le rôle qui l’avait consacrée il y a quelques années… A suivre donc, pour son prochain film, devant ou derrière la caméra.

 

Date de sortie : 28 février 2018 (1h 34min)
De Greta Gerwig
Avec Saoirse Ronan, Laurie Metcalf, Tracy Letts…
Genres : Drame, Comédie
Nationalité : américain

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