Retour sur un film : Pentagon Papers, Steven Spielberg, toujours en salles
Chronique des années du plomb ou quand Hollywood s’auto-critique
Avec « Pentagons papers » Steven Spielberg revient sur les révélations du Washington Post, d’avant les célèbres concernant le Watergate, afin de réhabiliter sa directrice, l’illustre inconnue jusque-là, Kate Graham, magnifiquement incarnée par Meryl Streep. Bon signe des temps.
Ce plan est déjà célèbre. Une femme d’un certain âge, élégante, apprêtée, le brushing parfait, le regard à la fois fixe et perdu. Assise, elle met sa main droite contre la naissance de sa gorge dans l’échancrure d’une luxueuse robe d’intérieur. Pliés en deux, un tandem d’hommes l’encadre. Un troisième lui fait face. Le spectateur le voit de dos. Nul doute qu’il lui parle de quelque chose qu’elle doit comprendre. On devine un quatrième, celui-là presque debout, à la droite de l’écran. Il pourrait y avoir d’autres prédateurs. Le cadrage crée des ouvertures. On aperçoit dans la profondeur du champ, une seconde pièce. On se croirait dans un film de Fritz Lang de l’époque américaine (années 30, 40 et 50).
Justement, il s’agit d’une production hollywoodienne. Et pas n’importe laquelle. Comme on dit, « voilà le dernier Steven Spielberg», «Pentagon Papers», qui, nous relate la chronique, « connaît en ce moment un gros succès dans les salles parisiennes et de l’ensemble de l’hexagone ». La dame de la Couv’ des Cahiers, c’est Meryl Streep (« Julia », 1977, « Voyage au bout de l’Enfer », 1978, « Manhattan », 1979, « Kramer contre Kramer », 1979, « La maîtresse du lieutenant français », 1981, « Out of Africa », 1985, « Sur la route de Madison », 1995, etc). Elle interprète là un personnage « vrai ». Katharine Graham, propriétaire en 1971, et après (c’est important) du « Washington Post » parce que son père puis son mari, tous les deux décédés, le furent. Et pour rien d’autre ! Un quotidien qui se confectionnait encore (comme tous les autres) au Plomb, ce qui nous autorise de bien belles scènes d’un soir au journal.
Là, ces messieurs lui disent, de ne pas sortir un scoop– l’existence d’un document gouvernemental remettant en cause la politique officielle américaine au Vietnam des années 50 à 70- dans son journal. Sinon c’est la catastrophe pour elle, le journal et pour eux. Et pour elle, rien que pour elle, ce serait la déchéance. Au bout de bien des hésitations, où Meryl Streep déroule son personnage, cheminant son idée le long d’un chemin borné de doutes, d’interrogations (« qu’auraient fait mon père, mon mari ? ») Mme « Kay » Graham, grande bourgeoise américaine, amie des Kennedy, des Johnson, des Nixon et, surtout, copine d’un responsable de ce mensonge d’État (Robert McNamara, ex PDG de General Motors, ex Secrétaire à la Défense, et tout le toutim) va publier ces brulants « Pentagon papers », avec l’aide et le soutien de son rédac’ chef, Ben Bradlee, joué, ici, par Tom Hanks, l’acteur spielbergien par excellence (« Il faut sauver le soldat Ryan », 1998, « Arrête-moi si tu peux », 2002, « Le pont des espions », 2015) et complice (co-producteur) du réalisateur pour la superbe série « Frères d’armes » (2001).
Mais là où Spielberg brouille le jeu, c’est que ni l’incorruptible Bradlee, ni les deux « fournisseurs » de la fuite, Ben Bagdikian, le journaliste et Daniel Ellsberg, « la gorge profonde », l’un et l’autre malicieusement ressuscités par des Stars des Séries T.V cultes, Bob Odenkirk (Breaking Bad) et Mattew Rhys (The Americans) n’apparaissent pas comme les triomphateurs. En janvier/février 2018, c’est l’élégante et soumise Mme Veuve Graham qui quitte son ultra-chic robe d’hôtesse pour revêtir la rude étoffe du Héros, pardon de l’Héroïne. On sait que trois ans plus tard, le Washington Post de ces mêmes Graham and Bradlee, soulèvera le lièvre du Watergate. D’ailleurs « Pentagons papers » se termine complaisamment par une scène de l’effraction du fameux local du parti Démocrate.
Dans le film relatant, en 1976, la célèbre enquête des journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein qui entraînera la démission du président Richard Nixon en août 1974, « Les hommes du président », de Alan J. Pakula, Ben Bradlee prend les traits et l’allure de l’excellent Jason Robards Jr (« Il était une fois dans l’Ouest », 1968, «Un nommé Cable Hogue », 1970, « Julia », 1977, etc). Mais dans cette œuvre présentée alors comme progressiste (Pakula, mais aussi et surtout les célébrissimes comédiens Robert Redford et Dustin Hoffman en Woodward et Berstein) sortie entre les périodes Nixon et Reagan, Madame Katharine « Kay » Graham n’existe pas ! Sans doute qu’elle demeurait la femme « des » présidents.
Et si, aujourd’hui, Hollywood s’autorise de revenir à ces années du Plomb, grâce à l’une de ses figures de proue, rien que pour réhabiliter Super Mamie Kate, installée dans la peau de Super Méryl, on sait bien pourquoi. D’autant que nous reconnaissons Spielberg, comme celui qui, mieux que quiconque, sait traiter les grands dossiers, (racisme, esclavage, Shoah, etc) ou des événements tragiques, (Invasion japonaise de la Chine, guerres 14/18 et 39/45, JO de 1972, etc) par le détour (ou le procédé ?) de l’Affect. De « La couleur pourpre » à « l’Empire du soleil », de « La liste de Schindler » à « Amistad », de « Munich » à « Cheval de guerre » en passant « Il faut sauver le soldat Ryan », se montrant, ainsi, le digne successeur/héritier de l’incomparable John Ford.
Cependant, est-ce un hasard, si, lors de ce même début 2018, « 3 Billboards, les panneaux de la vengeance », de Martin McDonagh, nous décrit la vengeance d’une mère, et pas celle d’un père. Pire, celui- n’étant qu’un ivrogne, mari violent et prédateur de jeunes filles. Mais pour finir avec Spielberg et Ford. A quand un film nommé : « La Femme qui tua Liberty Valence ». Une histoire contée en un somptueux flash-back, par la sénatrice Hallie Stoddard, et pas (plus) par son mari l’honorable Ransom ?
Mais ceci est donc une autre histoire….
Jean-Louis IVANI
Date de sortie : 24 janvier 2018 (1h 57min)
De Steven Spielberg
Avec Meryl Streep, Tom Hanks, Sarah Paulson…
Genres : Drame, Thriller
Nationalité : américain
Commentaires récents