England is mine, Mark Gill, 7 février
En regardant England is mine, qu’il semble arrogant et misanthrope ce jeune Morrissey… Persuadé d’être supérieur aux autres -et dans un sens, il l’est- il se permet d’asséner des vérités désagréables à son entourage, au mépris des convenances sociales et surtout de leurs sentiments. Le film montre bien que ce dégoût des autres et du monde, indissociable d’un esprit brillant qui passe son temps à tout analyser, est également symptomatique d’un profond manque de confiance en soi. Au fond, l’adulte Morrissey à peine sorti de l’adolescence et du cocon familial -certes dysfonctionnel mais protecteur- n’aspire pas à devenir célèbre : il préfère le rêve à l’action, car dans l’attente se situe l’espérance… et il a déjà compris qu’atteindre ses objectifs entraînera un lot de déceptions et peut-être même de compromissions.
Fans de Morrissey (tout au moins de sa discographie), passez votre chemin. Peut-être parce qu’il n’a pas obtenu les droits des chansons, peut-être aussi parce qu’il pense que dépeindre les années de formation intellectuelle et humaine de Steven Morrissey éclaire davantage sa personnalité qu’un biopic classique sur sa carrière, le réalisateur n’a inclus aucun hit de celui qui deviendra le leader du groupe phare The Smiths. Pour autant, la musique n’est pas absente de ce film surprenant. Des New York Dolls (« Lonely Planet Boy ») à Roxy Music en passant par Dmitri Chostakovitch ou le crooner britannique Vince Eager sans oublier les groupes de filles des années 60 – The Shangri-Las, The Cookies, The Marvellettes – que sa mère lui fait découvrir depuis le jour de sa naissance…
On a dû mal à croire que l’auteur de ballades plaintives écoutait ce genre de ritournelles doo wop acidulées et légères comme une bulle de savon. Mais le film résout aisément ce paradoxe. En fait, le jeune homme rebelle est un esthète : s’il professe les pires atrocités à son employeur (un beauf dégoutant mais finalement très compréhensible au vu des nombreux retards et absences du jeune Morrissey), sa collègue énamourée ou sa mère (pourtant l’un de ses rares piliers), c’est parce qu’il a en horreur tout ce qui enlaidit la vie (« Life in his humdrum sense is worth avoiding. It’s the factory for father and the kitchen for mother. It’s arguments at the dinner table, missing children on the news and, through it all, a sense that things are slowly falling apart. »)
Pour Morrissey, il est plus facile de se débarrasser via un trait d’esprit humiliant de ce qui le dérange que de composer avec… Le somptueux travail sur la photographie et les séquences symbolistes au pouvoir hypnotique (les eaux de l’écluse, la foule de danseurs rougeoyants) contredisent pourtant l’un des motto du jeune dandy : « Nothing worth doing in life involves repetition”. C’est en répétant les mêmes erreurs, les mêmes abandons, en acceptant aussi au final de jouer le jeu social, que Steven devient Morrissey, une star peut-être mais pas forcément un type plus heureux.
Les acteurs sont tous excellents -c’est rare!- et le réalisateur, qui a grandi à quelques rues de la demeure familiale de Morrissey, connaît suffisamment Manchester pour faire de la ville un personnage -aimé et honni à la fois- de son récit, qui reflète -quand elle ne les déclenche pas- chacune des vagues à l’âme du poète tourmenté.
ENGLAND IS MINE from Bodega Films on Vimeo.
Date de sortie : 7 février 2018 (1h 34min)
De Mark Gill (II)
Avec Jessica Brown Findlay, Jodie Comer, Jack Lowden…
Genres : Biopic, Drame
Nationalité : britannique
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