The Ride, Stéphanie Gillard, 7 février
Un documentariste peut-il effacer sa vision (ou oblitérer les fantasmes générés chez le spectateur) derrière la voix des sujets filmés? Telle est la question que pose le film de Stéphanie Gillard qui, après plusieurs séjours en terre lakota, a filmé la chevauchée à laquelle participent chaque année, au cœur de l’hiver glacial, des centaines de jeunes issus de différentes tribus pour commémorer les enseignements et la valeur guerrière de leurs ancêtres massacrés à Wounded Knee par l’armée nord-américaine.
Quelques phrases (trop peu pour le simple spectateur) en guise de carton explicatif s’affichent sur les magnifiques premières images du documentaire. Bienvenue au South-Dakota, dans les Badlands, un territoire bien nommé puisque ces immenses étendues de terre déchiquetée par l’érosion sont aussi inhospitalières qu’elles sont majestueuses. C’est pourtant là que durant des milliers d’années, les tribus indiennes vivaient de la chasse, en harmonie avec les nombreux bisons, jusqu’à l’arrivée des colons blancs, soutenus par les missionnaires et l’armée. Car, comme dans d’autres régions, cette terre peu fertile était très convoitée. D’abord au XIXe siècle, par des familles de blancs, souvent pauvres, venus réclamer leur parcelle gratuite (loi du Homestead Act) et goûter au rêve américain, sans prendre conscience qu’ils n’étaient pas les premiers habitants du continent. Puis, ce fut au tour des chercheurs d’or et des compagnies minières de s’intéresser à cette partie du monde. Pour les amérindiens, cette région, notamment les Black Hills, abrite de nombreux sites sacrés, et en aucun cas, la terre ne devrait devenir une valeur monnayable.
Si Stéphanie Gillard a le souci de donner la parole à un maximum d’acteurs de cette fantastique chevauchée, des plus jeunes -des adolescents au look et à la tchatche de gangsters rap- aux plus aguerris -les éducateurs spirituels et politiques-, elle laisse dans l’ombre Ron His Horse is Thunder, le fondateur qui fut pourtant Président du Conseil Tribal de la tribu Sioux de Standing Rock pendant 4 ans. Aujourd’hui, Ron se bat contre le Dakota Access Pipeline, un oléoduc long de 1 886 kilomètres qui en traversant les états et les nombreuses réserves laisse dans son sillage une pollution catastrophique des eaux et du sol. Dans le documentaire, l’intrication entre lutte spirituelle et économique n’apparaît pas de manière évidente… Certes, les confidences, émouvantes ou drolatiques, façon télé-réalité, des jeunes cavaliers face caméra, montrent l’importance pour les anciens de transmettre des valeurs de partage et de courage qui semblent assez éloignées des préoccupations matérielles (« on a cassé ma Xbox ») et adolescentes (« est-ce qu’il y aura des filles à la prochaine étape? ») mais le documentaire aurait gagné en profondeur s’il avait abordé de front -via peut-être des entretiens directs – les combats menés par les descendants des guerriers de Wounded Knee.
Pour rendre la parole -si souvent confisquée– aux Amérindiens, la réalisatrice a fait le choix de s’effacer derrière leurs mots : c’est tout à son honneur de ne pas s’approprier l’expertise et la connaissance comme le font pourtant nombreux chercheurs, partis se confronter au mythe du bon sauvage en terre inconnue. Mais, l’absence de voix off ou de questionnaire ne garantit pas la disparition de la subjectivité (pari impossible à relever somme toute). Au cinéma, la manière de filmer le sujet étudié, la production d’images est déjà un regard -et peut-être un jugement en soi. Ne pouvant découvrir le film aux dates de projection presse, j’ai assisté à la présentation parisienne en avant-première, à laquelle étaient présents Julie Gayet (productrice et distributrice du film) et Ron His Horse is Thunder, aux côtés de la réalisatrice. Filmés le plus souvent sur leurs destriers au milieu d’immensités arides, les membres des tribus Sioux sont saisis tels leurs valeureux ancêtres, photographiés en majesté par Edward Curtis, mais aussi figés dans le temps, prisonniers de leur image mythique de combattants ou de guérisseurs. Les questions des spectateurs reflétaient d’ailleurs davantage la quête new age d’occidentaux ayant soif d’une spiritualité prête à l’emploi, inconscients peut-être qu’ils participaient ainsi à la spoliation et dénaturation d’une culture millénaire et complexe.
C’est un livre de photographies de Guy Le Querrec, préfacé par Jim Harrison, qui a donné l’idée à la réalisatrice de suivre le groupe de cavaliers pour les immortaliser à l’écran. Pour avoir une petite idée de ce qu’être Native American aujourd’hui représente, il faut alors chercher dans ces moments de flottement, en marge des grandes étapes du parcours, pendant la journée de repos, au magasin tenu par des blancs qui leur souhaitent de ne pas repartir avec des orteils gelés, ou dans les locaux de l’église paroissiale, faisant la queue près du Père Noël, ou dans la voiture, spectateur d’un western qui se rejoue chaque jour dans la réalité. Si le film possède de nombreuses qualités, cet entre-deux existentiel aurait peut-être mérité un autre traitement cinématographique pour témoigner aujourd’hui du racisme ordinaire dont continue à être victime la jeune génération.
Date de sortie : 7 février 2018 (1h26min)
De Stéphanie Gillard
Genre : Documentaire
Nationalités : français, américain
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