Winter Brothers, Hlynur Palmason, 21 février
Un mortel besoin d’amour
Pour son premier long métrage, le cinéaste islando-danois Hlynur Palmason, choisit une sorte d’Opéra social, où les sons, les bruits, la fureur et la misère du travail minier se répercutent sur les corps et âmes. Rare.
La même séquence, ou presque, à l’orée comme au final de ce « Winter brothers ». La profondeur lugubre d’une caverne, qui s’avère bientôt une mine. Un fracas assourdissant. Un voile de poussières jaunâtres. Des hommes sans doute. Vaguement, on les reconnait à leurs casques d’où de petites lampes allumées créent un bal de lucioles, nous apportant la seule humanité dans ce noir profond. Des pics ensuite, brisant la pierraille, comme du temps d’Étienne Lantier. Des monceaux, puis des pellicules de calcaire qui s’imprègnent aux corps. Au début du film seulement, à la première pause, « Et si on buvait un coup » dit l’un de ces hommes de boue. Un autre sort une flasque plate contenant un liquide brunâtre. Un tord-boyaux à partager. Nous sommes au début du XXIe siècle. Au royaume du Danemark, l’un des derniers pays, dit-on, à respecter le droit social.
Là, deux frères. Le plus jeune, peut-être, le moins beau, sûrement, « un caractère difficile », « primaire, décalé » jugeraient d’aucuns, Emil. Sa souffrance de ne point être reconnu ni aimé le porte vers l’extrême. Mais a-t-il le choix ce jeune Emil ? C’est lui le « dealer » et fabriquant de la vilaine bibine frelatée. Nous voilà loin du génial professeur Walter H. White de Breaking bad. Emil, sa tambouille, il la concocte avec des produits chimiques fauchés à l’usine. Si bien que l’un de ses collègues en meurt. Mais Emil ne comprend guère qu’on puisse lui en vouloir… Le jeune empoisonneur sera tour à tour convoqué et humilié par le directeur, puis forcé à s’engloutir une bouteille du breuvage, et, enfin jeté par ses camarades dehors dans la neige rendue beige. Mais il demeure dans les parages, conservant sa tenue et sa crasse de mineur des temps nouveaux, tentant de se venger de son patron, ou bien de fourguer à nouveau sa gnôle.
Il nous semble alors que l’on ne sache plus trop quoi faire d’Emil, ni de l’ahurissant acteur Elliot Crosset Hove. Hlynur Palmason, lui, qui s’est contenté jusque-là de suivre son héros, prend dès lors partie pour lui, et entame une galerie de portraits d’autres personnages, eux aussi, pris dans univers clos d’une usine et de quelques Algécos perdus dans la lande nordique. Il y a ainsi le frère Johan, que la jolie Anna préfère à Emil, qui à la suite d’une émouvante scène rêvée- les deux jeunes gens en position de fœtus s’avouent leur amour et leur attrait réciproque- croit pourtant l’avoir pour sienne. Ce qui provoque un combat à mort (mais sans cadavre) entre les deux frangins, toute haine et tous muscles tendus puis tout amour fraternel exhibé. Un collègue ensuite qui lui raconte une légende de la mine. Jadis un chien fidèle attendit jusqu’à la mort, le retour de son maître enseveli par la pierre calcaire meurtrière…
Hlynur Palmason, fait de son premier long métrage une sorte d’opéra social, où la misère économique et morale sert de fil rouge, où les sons, les bruits et une « espèce » de musique concrète tient lieu d’écriture autant que les dialogues (rares dans bien des séquences). Si bien que l’on peut parler d’écriture sonore au sujet de « Winter brothers ». Enfin, à un moment on croit reconnaître « Street Hassle » de Lou Reed. Mais avons-nous rêvé ? Ou espéré ?
Date de sortie : 21 février 2018 (1h 34min)
De Hlynur Palmason
Avec Elliott Crosset Hove, Lars Mikkelsen, Peter Plaugborg…
Genre : Drame
Nationalité : danois
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