Les variations Jarmusch, ouvrage collectif, Université d’Artois

Série de 16 articles universitaires (rédigés en français et en anglais) recueillis et réunis par Esther Heboyan à l’occasion d’un colloque organisé en avril 2015, Les Variations Jarmusch se proposent d’explorer les multi-facettes d’un artiste protéiforme. On regrettera que certains articles, comme celui de Geoff Andrew du British Film Institute -une retranscription écrite de commentaires d’extraits visionnés en temps réels- ne soient point accompagnés de photogrammes ou d’autres types d’illustrations qui permettraient de faire le lien entre l’image, l’écrit et le sens… mais on sait bien que les publications universitaires ne peuvent se permettre – pour des raisons économiques principalement – de rivaliser en intelligibilité et qualité visuelle avec les ouvrages grand public.

Ceci étant dit, l’ouvrage remplit sa fonction première : proposer des analyses variées, argumentées et pointues sur l’intertextualité et la construction d’une esthétique d’auteur chez Jarmusch. Plusieurs articles se penchent sur les héritages revendiqués par Jarmusch himself lors des nombreuses interviews qu’il accorde à la presse. Dans un article de référence, Justin S. Wadlow ancre l’œuvre filmique de Jarmusch dans un temps (le milieu des années 1970) et un lieu (le Lower East Side à New York) et montre comment l’ironie intrinsèque de l’artiste prend le contre-pied des mouvements punks britanniques qui dans un excès de revendications et de codes outranciers sont devenus une caricature d’eux-mêmes. « Face au trop plein de l’esthétique punk (particulièrement à Londres) et à ses codes devenus de plus en plus caricaturaux (…), il s’agit d’opposer un moins qui se situe quelque part entre John Cage et l’héritage du mouvement Fluxus. » (page 54)

L’art de Jarmusch, c’est de créer un univers cohérent et multi-référentiel à partir de….presque rien. Son amour pour les espaces vides, les dialogues minimalistes, la litote ironique et une impassibilité dandyesque sont au service d’un cinéma qui propose au spectateur une expérience de perception sensorielle unique, qui n’appartient qu’à Jarmusch, et qui s’incarne aussi à travers des personnages dépersonnalisés ou dont le nom traduit une seule fonction et caractéristique comme ceux des héros de The Limits of Control.

Certains auteurs voient dans The Limits of Control, boudé par la critique, l’aboutissement de la réflexion artistique de Jarmusch qui invite le spectateur à utiliser son imagination pour combler les vides laissés par les ellipses narratives et la suppression de toute scène d’action. Puisant son inspiration chez de grands réalisateurs japonais, Ozu et Kurosawa notamment, le cinéma de Jarmusch entraîne à la contemplation, redonnant ainsi ses lettres de noblesse au quotidien et à une certaine forme d’existentialisme.

D’autres auteurs louent la capacité de Jarmusch à mettre en garde le spectateur contre les illusions de la représentation tout en construisant ses films tels des rêves qui condensent des contenus latents en contenus manifestes. Enfin, plusieurs articles s’intéressent au potentiel subversif de Jarmusch qui déconstruit et détourne avec un malin plaisir les codes de certains genres (western dans Dead Man, film de vampires dans Only Lovers Left Alive, ou action dans Ghost Dog).

Bref, un ouvrage choral, réflexif et patchwork qui rend compte à merveille des différentes variations esthétiques dans l’œuvre de Jarmusch.

Parution : juin 2017

ISBN : 978-2-84832-284-1

Dimensions : 16×24 cm, 292 pages

Prix : 22 €

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