Métier : réalisateur / Métier : directeur photo de Mike Goodridge

Doublé gagnant pour les éditions Dunod qui sortent deux ouvrages de Mike Goodridge, directeur général de Protagonist Pictures, ancien rédacteur en chef de Screen International et membre de plusieurs fédérations internationales de critiques (FIPRESCI, Los Angeles Film Critics Association, London Film Critics Circle…)

Métier : réalisateur et Métier : directeur photo donnent la parole aux professionnels qui se racontent à travers une série d’anecdotes, d’exemples de films ou de collaborations. Dans Métier : réalisateurs, Mike Goodridge, spécialiste reconnu du 7e art, s’est volontairement effacé lors des 17 entretiens avec des réalisateurs aussi différents que Michael Haneke, Stephen Frears, Olivier Assayas, Clint Eastwood, Guilllermo del Toro, les Frères Dardenne, Terry Gilliam ou Pedro Almodovar

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Le choix -forcément subjectif- des interviewés reflète bien évidemment les goûts de l’auteur mais répond aussi à des raisons pratiques. Au moment de la rédaction de l’ouvrage, Wong Kar Wai n’était pas disponible pour répondre aux questions car il travaillait sur la production de The Grandmaster. La sélection a également été dictée par un souci de mettre en lumière le travail de réalisateurs estampillés -à tort ou à raison- « auteurs » et « grand-public. »

Il y en aura donc pour tous les goûts et vous apprendrez plein de choses sur vos réalisateurs préférés. L’intérêt du livre est aussi de montrer qu’il existe autant de manière de réaliser un film que de réalisateurs. Pour Guillermo del Toro, la prise de risques est le moteur de la création et de l’inventivité. Il affirme ainsi : « Réaliser, c’est comme jongler à quatre balles sur un monocycle pendant qu’un train nous arrive dessus par-derrière. » Il attribue sa capacité à mélanger des situations ultra-réalistes à des éléments fantastiques à ses origines mexicaines qui ont contribué à lui donner uns sensibilité baroque. Si Guillermo considère les aléas et les ratés de la réalisation comme des challenges, il essaie de ne jamais rien montrer de ses doutes à son équipe qu’il souhaite ménager à tout prix. Et de revenir sur la solitude absolue du réalisateur : « On ne peut craquer qu’en face de sa femme ou de sa compagne ou de ses parents. Mais pas en face de l’équipe. Comme on est responsable du film, ils ne doivent pas voir que le chef a peur. »

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Même souci de protection chez Clint Eastwood, véritable patriarche d’une petite famille de collaborateurs fidèles. Il a souvent travaillé avec les mêmes personnes : le producteur Robert Lorenz, le directeur de la photo Tom Stern, le monteur Joel Cox et les chefs décorateurs Henry Bumstead (actif jusqu’à sa mort à 92 ans) et  James T. Murakami. Clint Eastwood fonctionne beaucoup à l’intuition, il avoue faire peu de recherches avant de se lancer sur un film, le déclic s’opérant à la lecture du scenario. Le réalisateur laisse une grande liberté à ses acteurs, il préfère leur faire entièrement confiance. Il confie : « Quand je répète un mouvement de caméra, le jeu est si bon que je me contente d’enregistrer pour ne pas passer à côté. J’ai pu voir certains acteurs bons dès le départ gâcher soudain leur jeu en voulant l’améliorer. »

Eastwood dément la réputation qui lui colle à la peau : non, il ne s’arrête pas toujours à la 1ière ou 2eme prise, mais il estime qu’il faut donner l’impression à l’équipe que le tournage avance de manière à motiver les troupes. Pour lui, le montage est une étape cruciale qui va lui permettre de polir le film comme une céramique, d’en gommer les aspérités ou les ratés.

Il revient aussi sur son parcours atypique : ex-acteur de westerns spaghetti qui, après être passé à la réalisation, est parvenu à s’imposer comme un réalisateur majeur en tournant des films appartenant à des registres complètements différents : le biopic musical Bird, le drame Mystic River, le western Impitoyable, le film de guerre Lettres d’Iwo Jima… Pour Eastwood, un seul mot d’ordre : la passion. L’entretien se conclue avec ce conseil aux jeunes réalisateurs : « Utilisez tout ce que vous avez appris et vu dans la vie. Et ne vous laissez pas impressionner par les gens qui coupent les cheveux en quatre (…) Si vous réfléchissez aux choix, vous allez commencer à douter, or les gens ont toujours un million de raisons pour vous expliquer que quelque chose ne peut pas fonctionner. Mais vous devez répondre qu’il y en a aussi un million pour lesquelles cela va fonctionner, donc, foncez. »

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Clint Eastwood et Tom Stern sur le tournage de Gran Torino. Courtesy Warner Bros.

La passion est aussi ce qui guide les réalisateurs Terry Gilliam et Stephen Frears. Pour eux, le cinéma est d’abord une histoire de visions. Le rapport à l’image, à sa construction et représentation est essentiel. Frears affirme qu’il a fait ses premiers pas sur un plateau ciné comme « idiot-savant » Désireux d’apprendre un maximum de choses, il n’arrêtait pas de poser des questions, surtout d’ordre technique et l’équipe était bien obligé de lui fournir des réponses claires et nettes. Frears avoue s’être senti complètement perdu devant l’ampleur du projet Les Liaisons Dangereuses, il s’est alors appuyé sur son chef-décorateur Stuart Craig qui, en composant certaines scènes principales, l’a aidé à rentrer dans l’univers du film. Pour Gilliam, une bonne appréciation de l’espace et de  la composition des scènes est aussi essentielle. Il affirme : « J’ai toujours été bon visuellement; je sens l’espace, j’en perçois la logique interne. » Pour lui aussi, le travail de réalisation s’apprend sur le tas, son expérience personnelle la plus fructueuse pour sa carrière fut son travail comme assistant-rédacteur sur un roman-photo humoristique !

Daniel Day-Lewis et Gordon Warnecke dans My Beautiful Laundrette

Daniel Day-Lewis et Gordon Warnecke dans My Beautiful Laundrette

Les relations avec les studios sont également évoquées par les différents réalisateurs. Si pour Eastwood, sa bonne entente avec Warner Bros a facilité pas mal de chose, Frears admet volontiers qu’il faut parfois faire des concessions : « Sur Mary Reilly, je savais qu’on tournait au mauvais endroit. Le scenario de Christopher Hampton était d’abord destiné à Tim Burton, mais il ne pouvait pas le tourner et on me l’a donné.  On doit respecter des standards quand on travaille pour un studio. » Certains réalisateurs refusent eux de modifier leur travail afin de rester fidèles à leur idée de départ… quitte à en faire les frais et à finir par être catalogué comme « difficile. » Gilliam a souffert pendant longtemps de cette réputation, ses soucis financiers et mésaventures techniques sur certains tournages n’ayant pas contribué à redonner confiance aux studios. L’entretien qu’il accorde à Mike Goodridge revient assez longuement sur Les Aventures du Baron de Munchausen, véritable cauchemar, et L’Homme qui a tué Don Quichotte, projet tombé à l’eau qui fut ensuite raconté dans le documentaire Lost in La Mancha.

Terry Gilliam et Jean Rochefort sur le tournage de  L’Homme qui a tué Don Quichotte

Terry Gilliam et Jean Rochefort sur le tournage de L’Homme qui a tué Don Quichotte

Les réalisateurs reviennent longuement sur leurs techniques favorites : caméra à l’épaule pour Paul Greengrass, story-board ultra détaillé pour Park Chan-Wook, grand-angle pour Terry Gilliam, sound-design pour Nuri Bilge Ceylan

Métier : réalisateur est agrémenté de superbes photos couleurs, d’illustrations, de scènes de tournage, de carnets de note et comporte aussi un glossaire et plusieurs portraits de réalisateurs décédés (Alfred Hitchcock, John Ford, Jean-Luc Godard…) Un ouvrage essentiel, à ne rater sous aucun prétexte, traduit de l’anglais par Olivier Cotte (auteur d’Ecrire pour le cinéma et la télévision, Dunod, qui fera l’objet d’un prochain article). A compléter par la lecture de Métier : directeur de la photo, de la même collection et du même auteur.

9782100705016-G

Métier : Réalisateur, Quand les maîtres du cinéma se racontent
Mike Goodridge
Collection: Hors collection, Dunod
23 avril 2014 – 192 pages – 236×255 mm – 24,90€
EAN13 : 9782100705009

 

Métier : Directeur de la photo, Quand les maîtres du cinéma se racontent
Tim Grierson, Mike Goodridge
Collection: Hors collection, Dunod
23 avril 2014 – 192 pages – 235×255 mm – 29,90€
EAN13 : 9782100705016

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