Continental Films, Jean-Louis Ivani, mai 2017
Continental Films, L’Incroyable Hollywood Nazie de Jean-Louis Ivani
Continental Films, L’incroyable Hollywood Nazie aurait très bien pu s’appeler L’incroyable Paris Nazie tant les étoiles parisiennes des années 30 et 40 sont les personnages clefs de cette épopée mouvementée parfaitement retranscrite et analysée. Danielle Darieux, Albert Préjean, Raimu, mais aussi les réalisateurs André Cayatte ou Henri-Georges Clouzot, ils tournent tous pour cette société de production sous la férule des états-majors allemands.
Au delà des controverses, le journaliste Jean-Louis Ivani (ex-Humanité) pose une question essentielle : comment continuer à exercer son métier d’artiste quand son pays est sous le joug d’une oppression politique et militaire ? Ivani ne cherche pas à trouver des excuses aux nombreuses personnalités qui ont, par leur participation aux films de la Continental, collaboré.
Au terme d’une enquête minutieuse et foisonnante de détails, il livre les circonstances qui ont pu pousser certains et certaines à taire leurs idéaux et leurs valeurs. Ainsi, de Danielle Darrieux qui se joint à la troupe de célébrités invitées par le Reich à Berlin… mais c’est pour retrouver son amoureux d’alors, le beau Porfirio Rubiroza Ariza dit Rubi, le consul de Saint Domingue (alliée des USA) en France. Rubi a été déporté et Darrieux arrache in extremis à Alfred Greven, l’homme de l’ombre de la Continental, une autorisation pour revoir son bien-aimé. Edwige Feuillère est aussi l’objet d’un ignoble chantage. Son compagnon, Igor, est russe mais aussi juif; Greven réussit donc à rapatrier dans son écurie la star.
Le livre d’Ivani s’apprécie tel un film choral où chaque destin personnel est une voix supplémentaire se faisant l’écho de la débâcle militaire et culturelle française. Les sources utilisées par le journaliste sont riches et variées : interviews, articles de presse d’époque (qui font froid dans le dos), correspondances, émissions de radio, ouvrages de référence… L’époque est troublée, pas uniquement par la présence de l’occupant, mais par la résurgence de vieux démons typiquement français, l’antisémitisme mais aussi la méfiance envers les questions sociales et le prolétariat. Ivani montre comment l’assainissement ethnique voulu par les Allemands qui se réjouissent de la diminution de l’influence juive au cinéma, va de pair avec un un assainissement des thèmes traités au cinéma : exit la question de la lutte des classes, des quartiers populaires… Et l’on pouvait lire dans L’Illustration du 16 août 1941 à propos de la sortie du film Premier Rendez-Vous d’Henri Decoin : « Les films français de ces dernières années avaient la regrettable tendance de choisir leurs personnages parmi une écume sociale. Mais voici qu’un souffle d’assainissements a passé sur la France. Un pays qui veut se régénérer par le travail et la famille doit veiller à ce que rien ne contrarie son effort… »
Raconté comme un film à suspens, Continental Films illustre comment la coalition entre médias et hauts responsables nazis a fait l’effet d’un étau qui se resserrait sur le monde de la culture quelques fussent les convictions des stars de l’époque… Entre l’exil choisi par Jean Gabin et Michelle Morgan (au grand dam de la Continental) et le repli en zone libre avec destruction de ses pellicules (Pagnol qui saborde sa Prière aux étoiles), il reste peu d’options aux artistes. Au milieu de portraits rendus émouvants ou grotesques par la guerre, quelques actes de résistance ou de coups de poker (Jean-Paul Dreyfus qui devient Jean-Paul Le Chanois et signe le scenario de La Main du Diable), dérisoires souvent, mais qui ont eu le mérite d’exister parmi le silence de la soumission.
Un livre qui analyse un pan méconnu de l’histoire du cinéma français et qui, par la somme importante des sources convoquées, vise aussi tous ceux qui s’intéressent aux films tournés pendant la seconde guerre mondiale.
Broché: 261 pages / 20 euros
Editeur : Lemieux Editeur (19 mai 2017)
ISBN-13: 978-2373440959
Dimensions du produit: 20 x 2 x 13 cm
Merci pour votre article qui me touche particulièrement. Prêt à vous en conter plus
Très cordialement
Jean-Louis IVANI