Voir Cannes et Survivre, Carlos Gomez, éditions du Toucan.
Dans son essai Voir Cannes et Survivre, le journaliste Carlos Gomez se remémore vingt ans de souvenirs cannois et livre, pêle-mêle, quantités d’anecdotes -drôles, émouvantes, parfois déconcertantes- qui illustrent à merveille la fascination exercée par le plus grand festival de cinéma au monde sur le journaliste néophyte puis aguerri.
Voir Cannes et survivre est le récit d’une éducation sentimentale… car Cannes, sous ses abords de fille facile, ne s’offre pas facilement. Elle se mérite, il faut d’abord faire ses preuves comme gratte-papier, se plier aux exigences démesurées de patrons de la presse, subir moult humiliations, avant, pendant puis après la projection tant désirée.
A l’instar d’autres métiers, le journalisme possède ses castes et ses chapelles, matérialisées par les badges d’accréditations, sésames magiques tant convoités. Au plus bas de l’échelle, on retrouve donc le pigiste. Et tout en haut, les rédacteurs en chef de grands quotidiens et magazines. Carlos Gomez a eu de la chance… Comme il nous l’apprend dans des pages amusantes sur sa propre ascension, il obtint dès son premier festival le badge blanc qui permet de prendre place au milieu de la grande salle, d’obtenir deux pass pour la montée des marches et, surtout, d’être de toutes les soirées…
En décrivant le fonctionnement interne du festival, le journaliste, mine de rien, livre une petite analyse sociologique et fait preuve, en dépit de toutes ses années à couvrir l’événement, d’une forme de candeur (de façade ?). Il rêve ainsi d’un monde plus juste où les forçats de l’article, les vrais passionnés de cinéma, levés à l’aube pour être relégués en corbeille, sur des sièges branlants, accéderaient aux meilleures places… après tout, on a bien supprimé la deuxième classe dans les métros parisiens avec l’élection de Mitterrand, confie-t-il. Oui, mais, malgré la magie de la salle noire, la machine cinématographique est une fabricante d’égos qu’elle prend ensuite plaisir à broyer. Et de citer quantité de stars, Lambert Wilson, Thomas Langmann, Faye Dunaway, Brad Pitt, qui, pour différentes raisons, en ont fait les frais.
Voir Cannes et Survivre, série de souvenirs, est une mémoire du festival qui offre donc l’occasion de saisir l’évolution de cette grande foire aux vanités : la cohabitation entre Gilles Jacob et son « poulain » et successeur Thierry Frémaux, les grandes années Canal + puis la longue descente de ‘trip’… C’est forcément subjectif et en plus, l’auteur ne pratique pas la langue de bois. Il affiche ses inimitiés (Gilles Jacob, Isabelle Huppert…) et loue les vertus de ceux qu’il admire, Frémaux mais aussi Pierre Lescure, l' »éternel jeune homme, assez régulièrement rattrapé par la mélancolie. » (page 133).
L’écriture est fluide, mordante, pleine de verve…mais l’auteur se laisse, lui aussi, gagner par la mélancolie lorsqu’il évoque la mort de son père en parallèle du magnifique film Nebraska d’Alexander Payne, la sagesse du clown Philippe Léotard, ou pendant sa série d’instantanés, moments d’émotion, saisis sur le vif et transcrits ici en deux-trois lignes dans les chapitres « Je me souviens ».
Ainsi, au delà du ton léger, ce livre de souvenirs sur le plus grand festival du monde est aussi le livre d’un jeune Rastignac monté à Cannes pour la conquérir, et devenu homme depuis.
Voir Cannes et survivre de Carlos Gomez
Paru le 19 Avril 2017
224 pages / 16 euros
Genre : Essais
ISBN : 9782810007691
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