L’autre côté de l’espoir, Aki Kaurismäki,15 mars 2017

Aki Kaurismäki est-il un réalisateur de films noirs perdu au XXIe siècle ? Dans son dernier film, ours d’argent à la Berlinale 2017, il est question du drame des migrants mais le cinéaste plonge son héros syrien dans un univers peuplé de vieilles guimbardes et de rockers 50’s. Échoué en Finlande après avoir été malmené en Turquie puis en Pologne, Khaled est déstabilisé par un lieu qui semble figé dans le passé; le mobilier de la police date des années 1980 et les bars d’Helsinki résonnent des musiques d’autrefois. En multipliant les anachronismes, Aki Kaurismäki rend paradoxalement son histoire universelle sans verser dans le lénifiant ou le dogmatisme. Ici, pas de grands discours sociaux. Le spectateur suit deux destinées (celle de Khaled mais aussi celle du vieux finlandais Wikhström) qui évoluent en parallèle pendant une première partie avant de se rejoindre et de s’enrichir.

Car malgré leurs différences (d’âge, d’origine et de statut social), nos deux héros se ressemblent. Tous deux fuient quelque chose. Khaled a choisi l’exil après le bombardement de sa maison à Alep. Quant à Wikhström, il plaque sa femme et son boulot de VRP et joue sa vie au poker, avant de pouvoir s’envoler vers une autre aventure financière, dans une scène qui rappelle Les Tontons Flingueurs pour l’ambiance. Une chanson de la bande-son, excellente, ne serine-t-elle pas : « Je joue, je ne réfléchis pas, si tu réfléchis, tu as peur. » Les peurs qui gangrènent la société et l’individu, en l’empêchant d’aspirer au bonheur, sont incarnées par le groupe néo-nazi qui rôde, tapi dans l’ombre, dans le public d’un concert ou près d’un parking désert. A travers ses personnages, Kaurismäki nous invite à prendre des risques, à nous battre pour ce qui importe, une forme de liberté, dans le travail et la famille.

Dans ce pays ‘rocailleux’ (autre extrait de chanson), peuplé d’hommes et de femmes qui sourient peu, la solidarité existe et prend des formes inattendues. On n’aide pas une personne par sens moral ou bienséance mais par pragmatisme et sens des réalités. Comme l’affirme l’un des serveurs de la brasserie reprise par Wikhström, « avec sa carrure, Khaled ne survivra pas deux jours dans la rue. »

Les héros des films de Kaurismäki sont avares d’émotions et se caractérisent par un humour pince-sans-rire. Pourtant, dans cette Finlande en apparence immobile, forte de traditions immuables, que même la mondialisation ne vient bousculer, le réalisateur pratique un cinéma du mouvement. Avec des plans serrés sur des visages, des objets, presque fétichisés, Aki Kaurismäki réussit à saisir la fluidité de l’existence humaine, sa fragilité même. Une pièce de deux euros contre un savon dans un centre d’accueil, un anneau de mariage déposé dans un cendrier qui déborde de mégots, un petit chien qu’on s’empresse de cacher dans les toilettes du restaurant.

Aux forces aveugles de l’administration, Wikhström et ses employés opposent de prime abord une inertie toute finlandaise, ce qui ne les empêche pas d’évoluer, de se réinventer (la brasserie devient bar à sushis puis thé dansant) et surtout de s’aimer et se venir en aide. L’autre côté de l’espoir parle de migrations subies, de guerres aux portes de l’Europe mais constitue aussi, in fine, une ode à la Finlande, un pays froid dont on tombe amoureux même si l’on désire le quitter. Un cinéma plein de paradoxes qui fait réfléchir avec désinvolture et humour. Un univers singulier et personnel dans lequel l’universel trouve à s’exprimer. Du grand art et une vraie leçon de cinéma.

 

Date de sortie : 15 mars 2017 (1h 38min)
De Aki Kaurismäki
Avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Ilkka Koivula…
Genres : Drame, Comédie
Nationalité : finlandais

 

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