You’ve been trumped, Anthony Baxter, 2011
Sorti dans la quasi indifférence générale, à l’exception de la diffusion publique maintenue par la chaîne BBC2 (en dépit des menaces de poursuites faites par Trump et ses avocats), You’ve been trumped commence à faire un peu parler de lui, après le résultat des élections nord-américaines. Pour ne pas rentrer dans la polémique, nous nous limiterons à détailler les qualités cinématographiques de cet excellent documentaire. Le réalisateur s’est attaché à donner la parole à un groupe d’habitants des côtes écossaises dans la région d’Aberdeen qui résistent face à l’empire du magnat immobilier pour conserver leurs terres et défendre une zone environnementale protégée. Au-delà du portrait sans concession du tycoon, Anthony Baxter retrace les étapes d’un complet ratage économique et politique qui devrait inquiéter quant aux capacités du nouveau président des États-Unis à tenir ses promesses et surtout à défendre les intérêts de tous pour plus de justice et de pouvoir d’achat. D’un côté, des résidents, représentés au sein de conseils locaux et soutenus par des associations pour la protection de l’environnement, de l’autre, une armée d’avocats sans scrupules, d’hommes politiques corrompus par l’appât du gain ou – laissons-leur le bénéfice du doute- bernés par le bagout incroyable du milliardaire. La démocratie s’exerce correctement; les différentes institutions chargées de donner leur accord donnent raison aux habitants opposés à l’installation d’un golf à la place des magnifiques dunes qui abritent des centaines d’espèces animales et végétales. Mais, renversement de situation, le parlement écossais annule cette décision et autorise le financier à débuter les travaux, au mépris des lois environnementales. La situation s’envenime bientôt car Trump -qui en veut toujours plus- n’est pas content : il souhaite exproprier les résidents qui habitent, selon lui, des « masures« , ce qui nuit à l’image sélect du complexe hôtelier censé attirer une clientèle chic originaire des quatre coins de la planète. Souvent cocasse, le film montre l’escalade des propos venimeux et méprisants de celui qui prétend être un enfant du pays (un « Scotch », répète-t-il à plusieurs reprises – sic!) mais agit comme un envahisseur sûr de sa force et prêt à tout pour arriver à ses fins.
Il ne s’agit pas d’un documentaire à charge contre Trump; il apparaît finalement dans très peu de séquences mais ce qui transparaît de sa personnalité est le besoin de rabaisser constamment tout interlocuteur qui émet une idée qu’il considère contraire à la sienne. Les interventions de Trump dans le documentaire suggèrent le recours aux pires méthodes pour jeter le discrédit : la calomnie, le mensonge… et le montage du film ne se limite pas à éclairer les parts d’ombre du magnat mais créé un effet tragi-comique : les images de bulldozers s’attaquant à quatre cent arbres sont suivies des témoignages inquiets de chercheurs ou d’amoureux d’ornithologie, et la voix du grand patron d’affirmer avec le plus grand aplomb que les agences de protection de la nature et les militants écologistes le soutiennent. Une violence sourde affleure régulièrement quand l’équipe Trump tient le devant de la scène; le réalisateur ne se pose pas en victime -comme le fait peut-être un peu trop souvent dans ses documentaires Michael Moore- il n’insiste pas sur les difficultés -réelles- rencontrées pour filmer. Il agit plus comme un détective privé qui, patiemment, accumulerait les preuves visuelles, même les plus insignifiantes, pour apporter – ou non- la preuve finale en nous laissant seuls juges. Et le regard jaloux jeté par la directrice de communication de Trump à son employeur lorsque celui-ci drague ouvertement une jeune reine de beauté du coin ou la moue de déconvenue du fils Trump quand le report du projet est annoncé laissent transparaître que malgré les liftings, les cols blancs amidonnés, le monde des Trump et de leurs collaborateurs n’est pas aussi policé et propret qu’ils veulent bien le laisser entendre. A cette violence corporate répondent de sublimes plans fixes d’un écosystème qui -dans sa rareté et sa valeur pour les générations futures – possède des caractéristiques similaires à la forêt vierge amazonienne, elle-même menacée par d’autres promoteurs immobiliers.
Loin de s’attarder sur la faconde de ce méchant Goliath, le réalisateur opère un devoir de mémoire en laissant le temps aux « petites-gens » moquées par Trump d’évoquer leurs familles, leurs ancêtres. Le refus de vendre leurs terres à Trump -en dépit des sommes offertes- apparaît comme un acte de résistance dans un monde où l’argent ne doit pas être roi. Les témoignages de ces fermiers qui s’expriment en Doric (dialecte écossais), ces pêcheurs, de cette grand-mère qui caresse encore avec amour la casquette de marin de son défunt époux, de cet ex punk qui évoque Joe Strummer des Clash viennent alimenter une mémoire collective faite de petits bonheurs, de joie partagée, d’attachement au passé que rien ne vient remplacer.
Le passé, véritable boussole, qu’on a souvent tendance à balayer d’un revers de la main, au nom du progrès ou du profit (les deux mots sont presque devenus synonymes dans la nov-langue libérale d’aujourd’hui), agit parfois comme un miroir et renvoie, quand le mal est fait, à d’autres erreurs, commises autrefois. Le réalisateur a inséré dans You’ve been trumped des extraits de Local hero, un film de 1984 avec Burt Lancaster, réalisé par Bill Forsyth à propos de l’implantation d’un complexe pétrolier dans un petit village du nord de l’Écosse. L’histoire semble donc se répéter sans fin et cette mise en abyme serait un peu vaine si l’après-documentaire ne venait pas confirmer les craintes diverses exprimées par les habitants de Balmedie.
Trump promettait 1 200 jobs permanents, seulement 150 personnes sont employées dans son resort et la plupart ne sont même pas des résidents locaux… La région s’est endettée et a perdu l’une des ses plus belles richesses : une nature appréciée de tous depuis des siècles…
You’ve been trumped (2011)
un film d’Anthony Baxter.
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