El acompañante, Pavel Giroud, 17 août
Inspiré d’une réalité historique– l’internement des individus contaminés par le virus du SIDA dans un sanatorium ultra-sécurisé- le nouveau long-métrage de Pavel Giroud est une belle histoire d’amitié entre deux anciennes gloires cubaines, un soldat héroïque enfermé à vie et un champion de boxe suspendu pour dopage.
De facture classique, El acompañante porte un regard pudique sur le sort des malades du SIDA au milieu des années 1980. S’il n’occulte pas la violence latente de mesures sanitaires qui engendraient privations de libertés supplémentaires, le film s’attache avant tout à dépeindre les interactions entre les membres d’un microcosme constitué, de force, autour de la maladie mais dont les liens de solidarité et de respect mutuel parviennent à transcender la réalité sordide du milieu fermé.
Le rôle-titre du film, El acompañante, est interprété par un acteur relativement connu du monde hispanophone, l’ex-membre du groupe de rap à succès Orishas, qui a notamment collaboré avec des stars internationales latinas comme Ricky Martin ou Compay Segundo. Tout en muscles, l’acteur Yotuel Romero incarne un boxeur blessé dans son orgueil, qui accepte avec résignation le triste sort réservé aux tricheurs : il emménage dans le sanatorium Los Cocos, dont le seul nom, suffit à faire fuir un camion de militaires, pour s’occuper de Daniel, jeune sidéen. Dans la réalité cubaine de l’époque, s’occuper signifie espionner.
Et au sein de ce sanatorium, le régime dictatorial qui obligeait l’acompañante, sain, à devenir l’ombre du malade, à renoncer à sa propre vie pour établir des rapports détaillés destinés aux autorités, apparaît, sans recours à de grands discours, dans toute son absurdité.
Le duo formé par Daniel, ex-gloire militaire hétérosexuelle qui conserve face à l’adversité et l’injustice, un sourire et un bagout insolents, et Horacio, le boxeur qui parviendra à remonter sur le ring et reconquérir son honneur perdu, rappelle à certains instants le « couple » blanc-noir formé par Tom Hanks et Denzel Washington dans Philadelphia. Mais la comparaison s’arrête là, la fragilité croissante de Daniel est à peine suggérée, essentiellement dans le dernier quart du film, et Horatio est un homme d’action, pas de mots. Sa force morale n’a d’égale que son mutisme. Pas de grande démonstration éthique donc dans ce film qui privilégie l’inscription dans un registre bien spécifique, le film de prison ou d’asile, qui lui permet de maintenir le spectateur en haleine du début à la fin.
Los Cocos est bel et bien une prison et comme dans tout lieu fermé où s’exerce une surveillance et une régulation des corps de tous les instants, des trafics se mettent en place pour offrir à tous, malades mais aussi soignants, une forme de liberté tarifée. Comme dans les films d’asile – Vol au- dessus d’un nid de coucou par exemple, un homme –ici Daniel et dans une moindre mesure Horatio qui taira les virées nocturnes de son ami- remet en cause l’ordre établi. Son intégrité et son courage mettent aussi en lumière la malhonnêteté et l’hypocrisie des gardiens de la norme, notamment Boris, médecin triste sire, qui harcèle sexuellement les patientes les plus mignonnes…
Le travail, remarquable autour de la photographie et de la musique, s’accompagne de plans fixes sur la statuaire des jardins et leurs allées marmoréennes, et souligne les zones d’ombre d’un lieu contradictoire, aseptisé et impénétrable, qui remplit une double fonction de punition et de protection ; à la fois, séparation du monde extérieur –qu’il faut préserver de toute contamination et souillure- et refuge pour ses habitants.
Le scenario, co-écrit par le réalisateur de l’excellent film de zombie Juan de los Muertos, cultive cette même identité hybride. L’ambiance oppressante alimentée par la crainte de la contamination et de la délation fait place à un récit de rédemption qui offre une ouverture progressive vers l’extérieur avec la découverte de l’appartement de l’ancien champion et sa salle d’entraînement…
Comme une bouffée d’oxygène et la promesse d’une vie meilleure pour un peuple opprimé et acculé par le destin. Un renversement de situation qui pourrait paraître un peu forcé mais ici parfaitement amené d’un point de vue scénaristique et qui au-delà de toute considération cinématographique, résume bien les aspirations d’une société cubaine consciente des fantômes du passé mais aussi résolument tournée vers l’avenir, en dépit des vents contraires…
Espérons que le succès de El acompañante ne se limite pas au circuit restreint festivalier –où il a déjà remporté de nombreux prix– tant ce film mérite d’être découvert par un large public.
Date de sortie : 17 août 2016 (1h 44min)
De Pavel Giroud
Avec Yotuel Romero, Armando Miguel Gómez, Camila Arteche…
Genre : Drame
Nationalité : Cubain
Distributeur : Happiness Distribution
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