Siembra, Grand Prix Cinélatino 2016, interview des réalisateurs

Le 14 avril, sortie de Siembra sur les écrans de Colombie. Le film a remporté le grand prix coup de cœur au festival Cinélatino 2016. Voici l’interview des réalisateurs, Ángela Osorio Rojas et Santiago Lozano Álvarez, lors de leur passage à Toulouse.

Cinescribe : Siembra est un film extrêmement stylisé, au noir et blanc magnifique. Pourquoi ce choix ?

Santiago Lozano Álvarez : Avec le blanc et noir, nous avons essayé de nous rapprocher au maximum des personnes que nous filmions, de leurs corps… Et comme toute l’intrigue du film est bâtie autour de ce corps inerte, le corps du jeune homme qui aimait danser, les gros plans sur ce corps qui bouge, c’était une manière d’objectiver ce personnage qui disparaît très tôt dans le film afin de permettre au spectateur de se rappeler de lui tout au long du film. La proximité avec le corps des acteurs, pour nous, ne relève pas d’un choix technique mais plutôt d’une réflexion qu’on poursuit depuis nos premiers documentaires…

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Cinescribe : Pouquoi appeler votre film Siembra qui signifie semence alors qu’il traite du deuil ?

Ángela Osorio Rojas : c’est une allusion à la nature cyclique de l’existence. Évoquer d’un point de vue afro-centré cette idée de continuité par-delà la mort. Montrer que le corps retourne à la terre mais la vie ne s’arrête pas… Le corps devient nutriment. Et dans le cas de Turco [le père du jeune danseur], le corps de son fils se transforme en graine et va germer quelque part même si Turco a perdu toutes ses terres. Et pour ce personnage sans racines, qui a perdu tout lien, eh bien, il va retrouver des racines à travers le corps sans vie de son fils qui retournera à la terre.

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Cinescribe : Pourquoi avoir fait de Turco, le père d’un fils unique. C’est plutôt rare en Amérique Latine ?

Santiago Lozano Álvarez : On a essayé de créer un contraste. Montrer un homme qui avait pris certaines décisions pour se protéger, défendre son héritage et ses terres [NDLR : Turco affirme qu’il a refusé de donner un frère à son fils pour ne pas avoir à diviser ses terres en deux parts] et qui se trouve floué, voire même trahi par son fils qui meurt très jeune. La mort du fils se convertit en cet obstacle ultime qui anéantit tous les espoirs de Turco de retourner vivre sur ses terres, d’essayer de les récupérer.

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Cinescribe : Est-ce que vous pouvez nous parler de ces populations « déplacées » ?

Ángela Osorio Rojas : En Colombie, de nombreuses terres passent de mains en mains ; et avec les migrations de ces villageois dépossédés de leurs biens, on aboutit à une géographie mouvante, qui change constamment et qui ne correspond pas à la géographie politique, celle qui est inscrite dans les cartes topographiques. Et dans les villes, cela provoque de nombreuses transformations que l’on ne perçoit pas de prime abord. Si on regarde là où vivent les personnages, les lotissements se ressemblent tous, la cité a l’air complètement inerte mais avec l’afflux de ces nouveaux habitants, de ces marées humaines, elle change d’identité, de rythme avec l’irruption des chansons et des rituels afro. Mais, il y a un contraste avec la jeunesse qui trouve dans la ville ses références, celles qu’elle se choisit qui vont être le rap, des sons pop… On voulait montrer que la culture n’est pas figée, elle est toujours en devenir et qu’en Colombie, elle est métissage.

Santiago Lozano Álvarez : Et on voulait aussi montrer qu’en plus de la dépossession des terres, l’expulsion de ces paysans vers la ville, vers Cali, c’est une manière de les dominer complètement, de les déraciner et donc de les « annuler », d’en faire des êtres qui n’appartiennent plus à aucun lieu.

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Cinescribe : Comment avez-vous choisi les acteurs, jeunes et moins jeunes ?

Santiago Lozano Álvarez : Diego Balanta qui interprète Turco est chanteur.

Ángela Osorio Rojas : Quant à José-Luis Preciado, son fils dans le film, il est aussi artiste. Notre idée de départ était de ne filmer que des artistes. A travers José-Luis nous sommes entrés en contact avec les autres danseurs et rappeurs. Et nous avons organisé une immense fête pour mieux nous connaître et ils ont très vite compris que c’était -malgré l’excellente ambiance- une sorte de casting, de rencontre professionnelle. Et donc, ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes et c’est ainsi que nous nous sommes décidés.

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Cinescribe : si le film était un âge, quel âge serait-il ? comme il parle de deux générations distinctes…

Ángela Osorio Rojas : eh bien [rires], notre âge, à nous deux réalisateurs.

Santiago Lozano Álvarez : mais c’est aussi l’idée de voir la migration à travers deux regards symétriques, celui du père et du fils… et de voir comment dans ce petit nucleus familial, les relations de pouvoir s’inversent. Ce n’est plus le père qui commande mais le fils qui s’est adapté à la ville, qui pourvoit à l’alimentation et qui est en mesure de déclarer à son père « je ne quitte pas la ville. »

Ángela Osorio Rojas : on associe souvent à la culture afro la musique festive, sexy, jeune mais il y a aussi des chants que l’on appelle alabados qui sont très mélancoliques, chantés lors des rituels associés au deuil. Et nous avons voulu montrer que la culture afro concernait tous les âges et possédait une richesse souvent méconnue.

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